
Qu’est-ce qui fait la particularité des ingénieurs diplômés de l’UTC ? Issus d’une école d’ingénieurs généraliste, ils ont tous choisi une spécialisation dès leur troisième année d’études. Jusque-là un parcours assez traditionnel. Mais le petit plus de leur formation réside sans doute dans la place importante qu’occupent les enseignements de sciences humaines et sociales à l’UTC. Avec un département et un laboratoire de recherche dédiés aux sciences de l’homme, l’université entend former des ingénieurs différents…
“A l’UTC, nous ne souhaitons pas former des brutes de technologie mais des humanistes technologues capables de les penser dans leurs conséquences environnementales, sociales et sociétales, toujours en lien étroit avec l’innovation », confie Etienne Arnoult, directeur à la formation et à la pédagogie, dans les colonnes du classement Eduniversal des grandes écoles. Pour ce faire, l’école met l’accent sur les enseignements de sciences humaines et sociales (SHS) très tôt dans le cursus de ses étudiants-ingénieurs.
Pour comprendre la place importante que prennent les sciences humaines et sociales à l’UTC, il convient de revenir en 1972, année de création de l’école. Guy Deniélou, son président et fondateur, écrit dans les colonnes de la Revue de l’information de l’Oise une tribune qui agit comme une véritable profession de foi du projet de l’UTC. « Nous essaierons de mettre un terme à la coupure absurde qui s’est instaurée entre les humanités et la science. […] Tous ceux qui conçoivent, qui construisent, qui exploitent, qui réparent les appareils, savent combien leur activité dépend des hommes et des relations humaines, […] et le moment vient où il ne sera plus possible de prétendre connaître l’homme sans connaître les objets qu’il construit. […] Il nous apparaît […] qu’un abord nouveau des humanités est possible à partir de la technologie et nous souhaitons en tenter l’expérience. »
Ainsi, dès ses premières années d’existence, l’UTC propose à ses étudiants des cours de philosophie ou encore de marketing. En 1986, le département TSH (technologie et sciences de l’homme) voit le jour pour structurer l’offre d’enseignements en sciences humaines. Quelques années plus tard, en 1993, l’UTC fonde le laboratoire Costech où exercent plusieurs dizaines d’enseignants-chercheurs et doctorants en sciences humaines et sociales.
Aujourd’hui encore, avec plus d’une centaine de cours proposés aux étudiants dans des domaines comme l’épistémologie, la philosophie des techniques, les langues ou encore la communication, les sciences humaines représentent une part importante du cursus des futurs ingénieurs UTC. Tous ces enseignements, loin d’être de simples ouvertures ou cours de culture générale, occupent près du quart du volume horaire des étudiants-ingénieurs. « Nous formons des ingénieurs qui au quotidien prennent en compte tous les enjeux sociotechniques des objets et des systèmes techniques sur lesquels ils agissent », explique Nathalie Darène, directrice du département TSH de l’UTC.
Ce projet d’un ingénieur humaniste et technologue trouve son point d’orgue avec la création, en 2012, du cursus Humanités et technologie (Hutech). Ouvert aux bacheliers S, ES et L ce parcours en trois ans est une alternative au tronc commun traditionnel de l’UTC et propose, la première année, 50% d’enseignements scientifiques et techniques et 50% d’enseignements en sciences humaines et sociales. “Nous souhaitons former des ingénieurs capables de modéliser les enjeux humains en même temps que les enjeux techniques et scientifiques, et ce dès l’amont des projets technologiques : on ne peut plus se permettre de penser “conséquences” (curatif), il faut penser “sens pour l’humain”, “projet de société”», précise Nicolas Salzmann, responsable de ce cursus.
Un pari gagnant pour les premières promotions diplômées de ce parcours. « En mettant en avant les TSH, l’UTC forme déjà des ingénieurs qui réfléchissent aux interactions entre l’homme et la technique, analyse France une diplômée Humanités et technologie. Hutech va plus loin, en abordant des concepts et des notions qui deviennent par la suite de véritables outils pour penser le rapport homme/technique en entreprise et dans les produits/services que ces dernières proposent ».
Grâce à plus d’une centaine de cours proposés, le département technologie et sciences de l’homme accueille tous les étudiants de l’UTC : du tronc commun au doctorat en passant par les cinq branches, les masters – notamment à TSH la spécialité UxD (User Experience Design) et la formation continue (soit environ 2450 étudiants par semestre). La diversité des disciplines qui y sont enseignées fait toute la spécificité de la formation des ingénieurs UTC. Explications de Nathalie Darène, directrice du département TSH.
La première chose qui m’a marqué quand j’ai consulté le catalogue des cours à l’UTC c’est le nombre important d’enseignements de sciences humaines que l’on pouvait suivre », s’étonne encore Alexandre, étudiant en branche, trois ans après son arrivé à l’UTC. Il faut dire qu’entre des cours de marketing, d’économie, de langues, de prise de parole publique ou encore d’épistémologie, les étudiants ont l’embarras du choix.
« Certains intitulés de matière peuvent paraître un peu étranges aux étudiants, confie Nathalie Darène, la directrice du département TSH. Il faut dire que notre offre de cours est singulière et elle est rendue possible par le fait que nous sommes adossés à un laboratoire de recherche. » Fondé en 1986, le département Technologie et sciences de l’homme réunit les différents enseignements de sciences humaines et sociales de l’UTC. Les enseignants de ces cours sont pour la plupart membres du laboratoire Costech, qui interroge les liens entre les hommes, la société et la technique.
Pour autant, comme le précise Nathalie Darène, les cours de sciences humaines ne sont pas en bonus à l’UTC mais font partie intégrante du projet pédagogique. « À travers les cours que nous proposons, nous voulons sensibiliser les étudiants aux enjeux sociotechniques auxquels ils doivent faire face, détaille l’enseignante-chercheure. L’ingénieur n’est pas seulement là pour concevoir des produits ou des services techniques, il doit envisager les conséquences qu’ils auront sur l’homme et la société. » Alors depuis sa création, le département TSH fonctionne en étroite collaboration avec les autres départements de sciences pour l’ingénieur de l’UTC et le monde professionnel. « Avec les enseignants-chercheurs du département, nous nous rendons énormément sur le terrain et nous adaptons le contenu de nos cours aux enjeux que les ingénieurs rencontrent en entreprise, poursuit Nathalie Darène. L’objectif c’est que dès le début d’un projet nos étudiants réfléchissent et analysent les enjeux sociotechniques sous-jacents.» Du grand groupe à la PME, de nombreux acteurs industriels participent au développement de l’offre d’enseignements de sciences de l’homme.
Pour affiner encore davantage la formation, Nathalie Darène et ses collègues ont lancé depuis plusieurs mois une démarche de réflexion stratégique autour du positionnement du département TSH. « Bien que notre offre d’enseignements de sciences humaines soit en phase avec les besoins du marché, nous voulions réfléchir à ce que serait l’enseignement des SHS dans les années à venir. » Des différentes enquêtes de terrain et entrevues réalisées, les enseignants-chercheurs ont retenu un objectif pour leur département ; Préparer les étudiants à savoir : coopérer en milieux numérique et interculturel.
« Cette maxime résume tous les objectifs des actions que nous menons ; la coopération correspond à la co-construction de projets qui peut exister entre les étudiants, analyse Nathalie Darène. Les ingénieurs ne travaillent jamais seuls dans leur coin. L’idée de milieu renvoie, quant à elle, à ce qu’il y a autour de nous mais également en nous, tout le contexte qui entoure et fait partie d’un projet. Le terme numérique représente à la fois de nouveaux outils et de nouvelles façons de faire. Enfin, l’interculturalité est à prendre au sens large ; à la fois sur l’international, mais également les interculturalités pouvant exister entre PME et grands groupes, etc.»
Pour accompagner cet objectif, l’organisation de la formation en sciences humaines à l’UTC devrait être revue pour permettre, l’émergence de parcours renforcés pour les élèves volontaires, avec notamment des mini-projets de recherche à mener pendant leurs stages. Un challenge de taille pour les étudiants-ingénieurs.
Mais en bout de course, quel est l’impact de cet accent mis sur les sciences humaines ? « Les entreprises nous disent régulièrement que les ingénieurs de l’UTC ont de forte capacité d’adaptation et de problématisation, confie la directrice du département TSH. C’est ce que nous encourageons via nos enseignements et nous sommes fiers que cette spécificité soit reconnue chez nos diplômés. »
ZOOM SUR LE LABORATOIRE COSTECH
Au sein de l’UTC le laboratoire Costech, adossé au département Technologie et sciences de l’homme, s’intéresse aux relations homme, technique, société. Il est composé de trois groupes de recherche. Le groupe CRED (cognitive research and enactive design) s’interroge sur la constitutivité technique de l’expérience humaine. Le groupe CRI (complexités, réseau et innovation) travaille, lui, sur le passage d’un régime industriel à un régime cognitif du capitalisme contemporain. Enfin, le groupe EPIN (écritures, pratiques et interactions numériques) s’intéresse aux nouvelles pratiques politiques, éducatives, culturelles ou encore d’écritures liées au numérique.
C’est un OVNI dans l’écosystème des écoles d’ingénieurs en France. Une formation en trois ans ouverte aux titulaires d’un bac S, ES ou L et qui propose, la première année, 50% d’enseignements scientifiques et techniques et 50% d’enseignements de sciences humaines et sociales. Son petit nom ? Humanités et technologie. “Hutech” pour les intimes. À la tête de ce projet atypique, Nicolas Salzmann, enseignant-chercheur à l’UTC devenu responsable du cursus. Zoom sur une formation qui ambitionne de former des ingénieurs technologues.
En sept rentrées, le cursus Hutech a déjà vu passer plus de 170 étudiants. La première promotion, entrée à l’UTC en 2012, est diplômée depuis décembre 2017. Pendant trois ans, comme tous les étudiants-ingénieurs, les élèves de la filière Hutech sont biberonnés aux maths, à la physique, à l’informatique, à la chimie, à la biologie ou encore à l’urbanisme.
Mais, grande originalité du cursus, l’accent est aussi mis sur l’épistémologie, l’histoire des techniques ou encore la philosophie des sciences. Un mélange qui plaît aux étudiants de ce cursus. « J’étais aussi bon dans les matières scientifiques que dans les matières littéraires, confie Pablo étudiant en première année. Je n’avais pas envie d’abandonner l’une ou l’autre des composantes dans mes études alors Hutech était le parfait compromis. » À l’issue des trois ans de formation, les étudiants peuvent poursuivre en branche à l’UTC (choix privilégié par la majorité d’entre eux), partir étudier dans un autre établissement ou tout bonnement arrêter leurs études et se lancer dans le monde professionnel.
Nicolas Salzmann, enseignant-chercheur à l’UTC depuis une vingtaine d’années, est à l’initiative de cette formation. « Hutech est un projet qui s’inscrit dans la continuité de la philosophie des universités de technologie qui visent à former des ingénieurs qui pensent les relations de l’homme à la technique, détaille-t-il. L’objectif d’Hutech, c’est que nos diplômés soient capables de porter des enjeux sociaux et humains en amont de projets technologiques qu’ils rencontreront en entreprise. »
Pour atteindre cet objectif ambitieux, la formation met en synergie les sciences humaines et les sciences pour l’ingénieur. « Nous avons mis en place un tronc commun en trois ans, au lieu de deux habituellement, pendant lequel les étudiants font un peu moins de toutes les sciences pour avoir davantage de temps pour les sciences humaines, détaille Nicolas Salzmann. De ce fait nos étudiants choisissent plus tôt la branche qu’ils visent pour travailler en priorité les cours qui s’inscrivent dans leur projet d’études. »
Du côté des industriels, le profil des étudiants Hutech plaît. « Certaines entreprises nous envoient des offres de stages réservées à nos étudiants, ajoute Nicolas Salzmann avec un brin de fierté. Soit parce qu’elles ont entendu parler de nous, soit parce qu’elles ont eu des stagiaires issus de notre formation. » Un point de vue que partage Elizaveta Izvolensky, issue de la première promotion Hutech et qui travaille aujourd’hui dans le secteur des transports. Son profil d’études lui permet d’évoluer à un poste au carrefour d’enjeux techniques et humains.
« Je suis à la fois affectée à des parties de projets très techniques, comme le développement de systèmes de régulation de vitesse dynamique sur les autoroutes, et en même temps à des projets beaucoup plus dans la réflexion, des phases d’analyse et d’avant-projet », détaille-t-elle. Selon elle Hutech lui a apporté de nombreuses compétences qu’elle applique au quotidien. « Cette formation a véritablement forgé ma manière de réfléchir, d’aborder les sujets en essayant d’y voir le sens et d’avoir une vision globale même si je travaille plutôt à l’échelle micro en me penchant sur le détail, analyse la jeune ingénieure. Tout ça me permet de faire face aux réalités politiques, écologiques et économiques en plus des contraintes budgétaires et techniques. Hutech m’y a bien préparée dès l’entrée dans la formation. »
Pour Nicolas Salzmann, en plus d’être humanistes, les ingénieurs passant par le cursus Hutech sont de véritables technologues. « Les ingénieurs, parce qu’ils conçoivent des produits et des services qui aménagent les vies humaines se doivent d’être humanistes, de constamment penser les interactions homme, technique et société, analyse-t-il. Au sein du cursus Hutech, nous formons des technologues, sorte de médiateurs capables de faire dialoguer les projets techniques avec les enjeux sociétaux ; de comprendre la technique, la penser et en parler précisément. »
Pour l’heure, le cursus Humanités et technologie poursuit son petit bonhomme de chemin. Dans les couloirs de l’UTC, il se murmure que les capacités d’accueil de la formation, pour le moment limitées à une vingtaine d’étudiants par promotion, pourraient augmenter dans les années à venir.
Affaire à suivre…