Actuellement, elle tente de répondre à cette épineuse question : « Quels sont les piliers du renouveau pour l’Espagne d’après la crise ? », dans le cadre d’un projet de recherche regroupant les Universités de Barcelone, Valencia et Lerida. Plus spécifiquement, Montserrat Pareja Eastaway étudie l’impact et le fonctionnement desquartiers créatifs, notamment en matière de gouvernance et de réseau. « Nous avons réalisé que, plus qu’unerecette toute faite, il fallait accorder une attention particulière aux forces et aux faiblesses d’une ville, à son histoire, à son tissu économique, pour en déduire les possibilités de développement reposant sur des bases solides et non superficielles », insiste-t-elle.
A chaque territoire sa recette
Ainsi, elle souligne que s’il est important d’attirer dans une ville, dans un quartier, des talents extérieurs, il faut aussi veiller à ce que le territoire en question produise lui-même de nouveaux talents, de nouvelles compétences, en réformant le cas échéant les établissements d’enseignement. « Les forces de chaque ville sont uniques, il faut les détecter et les favoriser pour construire une ville plus créative », estime l’économiste. Une recette par ville,par quartier, donc. A titre d’exemple, Montserrat Pareja Eastaway explique que Barcelone a intégré le design, force historique, dans son quartier dédié à l’innovation, aux côtés des secteurs des médias, de l’énergie, des technologies de la communication et de la biologique. En revanche, quand Barcelone a accompagné Medellin, en Colombie, pour la mise en œuvre d’un quartier créatif, la capitale catalane ne s’est pas contentée de dupliquer son expérience, mais a cherché à l’adapter au contexte local.
Le 22@ à Barcelone
S’il faut inventer une recette par ville, les ingrédients sont, eux, bien connus. Ce sont les liens existants entre les mondes académiques, politiques et économiques qu’il faut détecter et déployer. « La notion de réseau est très importante. Les connexions entre ces trois mondes sont essentielles pour bâtir une ville ou un quartier innovants. Il faut donc créer des espaces susceptibles de générer de telles connexions, et les animer. A chaque territoirecorrespond une tête de réseau capable de cette animation », rappelle Montserrat Pareja Eastaway. A Barcelone, le « 22@ » s’étend sur 200 hectares de friches industrielles. Figurant comme l’un des plus importants chantiers de rénovation urbaine de Barcelone, le 22@ a fait l’objet de 180 millions d’€ d’investissements publics. « Les autorités municipales ont géré ce dossier, prenant la tête du réseau local dédié à l’innovation. Elles ont organisé des choses aussi simple que des petits déjeuners réguliers, des conférences, des moments de rencontres et d’échanges. Les rencontres physiques sont essentielles : le digital est une chose, mais tout repose finalement sur le contact humain. Ces moments permettent de pérenniser la dynamique d’innovation, reposant sur la détermination d’intérêts communs entre les entreprises et les chercheurs, à qui la municipalité laisse progressivement la main en matière de leadership du 22@ », souligne l’économiste. Et pour que ces intérêts communs puissent donner le jour à des projets concrets, la municipalité met aussi à disposition un lieu dédié à l’expérimentation.
Planification régionale pour éviter les doublons
Pour que ces quartiers dédiés à l’innovation gardent un intérêt, il faut éviter la surenchère. « Depuis la crise économique, tout le monde veut son quartier créatif car les secteurs liés au savoir et à l’innovation ont mieux résisté que les autres. Mais il n’est pas souhaitable que plusieurs quartiers de ce type se côtoient dans une même région, sauf s’ils sont spécialisés dans différents secteurs d’activité. C’est pourquoi la planification régionale est primordiale », conclut Montserrat Pareja Eastaway.
« Dans les années à venir, entre 30% et 50% des emplois seront remplacés par des machines et des procédés automatisés. Les gains de productivité générés par cette transformation seront colossaux, sans commune mesure avec ceux créés par le Taylorisme. Mais, du manutentionnaire au chirurgien, le chômage prendra des proportions toute aussi colossales, posant la question de la solvabilité de nos sociétés fordistes. Il faut envisager dès aujourd’hui une nouvelle distribution des richesses », estime Bernard Stiegler, qui publiera bientôt un livre sur ce sujet, intitulé « La société automatique ». Le philosophe propose pour lutter contre cela l’invention d’un « revenu contributif », sur le modèle de l’intermittence du spectacle, qui inciterait les citoyens à valoriser leur temps disponible, temps qui ne cessera de s’accroître avec l’automatisation de la société. « Il faudra créer en parallèle des institutions de développement et de valorisation des savoirs, et réinventer un modèle économique reposant notamment sur des projets contributifs », imagine-t-il, invitant dès aujourd’hui à creuser ces questions qui se poseront de façon accrue dans la décennie à venir.
Territoires contributifs ou « smart cities » ?
« C’est un chantier qui concerne aussi l’UTC, dans la mesure où il faut préparer l’enseignement et la recherche à cet avenir. Les territoires doivent également devenir contributifs, et les technologies peuvent apporter beaucoup à cet égard, à condition qu’elles soient encadrées par des politiques d’ensemble. Dans le cas contraire, le scénario de la ville de Singapour pourrait se répéter, avec une gestion à distance des processus urbains maîtrisés par des multinationales. Cette dérive, intégrante du concept de « smart cities », est dangereuse », avertit Bernard Stiegler. Car l’automatisation guette aussi les territoires pour la gestion des flux (eau, énergie), des transports, etc. « L’urbanité numérique, et l’automatisation en général, sont des enjeux de société majeurs, dans la mesure où l’automatisation détruit l’autonomie », synthétise le philosophe. De la voiture autonome à l’économie des big datas, l’automatisation annihile la prise de décision de l’individu. Il faut donc veiller à utiliser la technologie pour rendre aux individus leur rôle, en tant que citoyens, consommateurs, membres d’une famille, d’une entreprise, etc., et non pour leur ôter toute initiative propre. « C’est le travail réalisé à Loos-en-Gohelle, dans le Nord-Pas de Calais, par le maire Jean-François Caron, illustre Bernard Stiegler. Les capteurs de performance énergétique dont la mairie a accompagné le déploiement ne sont pas reliés à un data center qui gère les consommations d’énergie à la place des habitants, mais aux habitants eux-mêmes qui, lors de réunions organisées dans une logique de démocratie participative, prennent les décisions adaptées. La technologie peut aussi bien servir l’intelligence collective que la détruire. »
L’innovation, entre entropie et lutte contre la mort
A plus grande échelle, il prend l’exemple de l’usage des big data dans la sphère financière : après la crise des subprimes, Alan Greenspan, ancien président de la FED (banque centrale américaine) a admis que la modélisation économique seule ne pouvait suffire, et qu’il fallait la mettre au service d’une théorie économique. L’automatisation, quel que soit le secteur d’activité où elle s’installe, amène des processus entropiques, c’est-à-dire un désordre du système, voire sa destruction. « Ainsi, les robots de Google en matière de linguistique engendrent une perte de diversité sémantique, comme l’a montré Frédéric Kaplan, chercheur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. L’entropie produit de l’indifférenciation, et conduit à la mort. La néguentropie, à l’inverse, produit de la singularité et des valeurs. L’avenir de l’innovation conduit à deux options : l’entropocène ou le néguentropocène », conceptualise Bernard Stiegler. Et pour conduire l’espèce humaine sur la voie qui permettra d’en sauvegarder quelques spécimens doués de libre arbitre, il faut veiller à utiliser le temps gagné par l’automatisation pour lutter contre la perte d’autonomie qu’elle génère.
Des territoires-écoles
« La société de demain doit produire beaucoup d’intelligence collective. Et l’automatisme autorise l’autonomie, comme le prouve le pianiste : il n’est pianiste que s’il peut se libérer de ses automatismes d’apprentissage, qu’il a dû tout d’abord acquérir en modifiant ses automatismes naturels, pour pouvoir créer, improviser et interpréter singulièrement. Le physicien doit à la fois se servir et se libérer de ce qu’il a appris pour découvrir, et enrichir le système. Le pilote de course automobile est une machine, mais il doit être capable de se désautomatiser une fraction de seconde pour éviter le crash ou pour gagner. La désautomatisation n’est possible que si l’individu a, au préalable, automatisé énormément de gestes, de réflexes, de savoirs. » Pour parvenir à ce degré d’autonomie, il faut accepter d’expérimenter, à tous les niveaux d’organisation. Il faut donner à l’individu, à l’université, au territoire, le droit d’expérimenter. C’est la seule issue pour tester et retenir les solutions pertinentes face aux bouleversements qui guettent. « C’est pourquoi je travaille à la constitution de territoires-écoles, au sein desquels de jeunes doctorants mènent des travaux de recherche contributive pour étudier par exemple la possibilité de distribuer des revenus contributifs à la place des aides sociales. Ces travaux associent aussi bien les habitants, que le monde économique, politique, académique…, tous mus par le droit à l’innovation. Pour anticiper les changements futurs, l’Union européenne devrait lancer et diffuser de telles expérimentations. »
L’objectif est d’adapter les nouvelles technologies aux processus de soins. ” Les smartphones peuvent par exemple être utilisés dans le cas de maladies chroniques, qui nécessitent un suivi continu. Dans le cas de la maladie de Parkinson, il se révèle plus pratique pour le patient d’intégrer ses données dans son téléphone — qu’il a toujours sur lui — que dans un carnet papier, toujours rempli à la dernière minute, avec toutes les inexactitudes et les biais que cela engendre “, illustre Cécile Monteil. Ainsi, sans être intrusif, le smartphone enregistre des données de meilleure qualité et permet au médecin de suivre plus efficacement son patient.
Informations plus précises pour les traitements chroniques
Les objets connectés apportent eux aussi leur lot de bénéfices : dans le cas d’une maladie comme l’eczéma, dont les démangeaisons peuvent réveiller la nuit et entraîner une grande fatigue chez le malade, un objet connecté de type bracelet pourra enregistrer les phases de réveil et les confronter au vécu du patient. En cardiologie, un objet connecté enregistrera la fréquence cardiaque et l’application smartphone attenante demandera au patient d’indiquer son activité physique quand la fréquence augmente anormalement. ” Ce sont des informations auxquelles le médecin n’avait pas accès jusqu’alors. Mais elles ne signifient rien hors de leur contexte : si une fréquence cardiaque de 170 est enregistrée alors que la personne cardiaque monte des escaliers, ce n’est pas aussi alarmant que si elle regarde la télévision “, nuance Cécile Monteil. Ad Scientiam travaille avec une le leader mondial iHealth pour la mise au point de ces objets connectés au service de la santé, avec la recherche académique pour analyser plus finement les symptômes grâce aux nouvelles technologies, ainsi qu’avec l’industrie pharmaceutique pour suivre les effets de médicaments en conditions réelles.
Motivation, suivi et prévention
” A terme, les patients bénéficieront de cette recherche. Ainsi, dans le cadre de la maladie de Parkinson ou du diabète, un meilleur suivi permet un meilleur traitement. On peut imaginer une application reliée à la boite de médicaments qui envoie un rappel si cette boite n’a pas été ouverte par le patient. Les applications sursmartphone renforcent le suivi et améliorent l’accompagnement du patient entre deux rendez-vous, ce qui accroît sa motivation et maintient son moral “, explique Cécile Monteil. Autre exemple : en cas d’insuffisance cardiaque, les personnes concernées peuvent accumuler de l’eau au niveau des chevilles de façon anormale et finir aux urgences. Pour éviter cela, il suffit qu’elles se pèsent tous les jours : en cas de prise de poids anormale, leur médecin les appelle pour une consultation urgente. Mais ces solutions seront-elles adaptées pour tout le monde ? ” Oui, affirme Cécile Monteil. L’équipement en matière de smartphone ne cesse de progresser, et les applications peuvent être rendues suffisamment accessibles pour être comprises par tous, en utilisant par exemple les photos des médicaments à prendre. Et les patients ne supportent pas l’intrusion. Utiliser leursmartphone, c’est utiliser un médium qui leur appartient, qu’ils se sont appropriés, et non une nouvelle machine. Dans le cadre de nos recherches, le taux de satisfaction est très important, même chez les personnes âgées. ”
Bientôt des applications remboursées ?
Ce potentiel ne deviendra réalité que si les outils sont conçus à la fois par les ingénieurs et les médecins. ” Il existe encore peu de liens entre ces deux mondes. Les médecins détiennent la connaissance du terrain, mais ignorent beaucoup des possibilités offertes par les nouvelles technologies. Le rôle d’Ad Scientiam est de créer des ponts entre le corps médical et l’ingénierie “, souligne Cécile Monteil, qui écrit les protocoles de recherche permettant de relier les technologies aux besoins spécifiques des maladies. Ce nouveau pan de recherche soulève bien des questions. Si la protection des données est garantie par une régulation drastique, celle du remboursement des applications médicales n’a pas encore été tranchée en France. ” Aux Etats-Unis et Royaume-Uni, certaines applications de ce type sont remboursées par la sécurité sociale. Elles peuvent engendrer beaucoup d’économies, ne serait-ce qu’en évitant des hospitalisations d’urgence “, souligne Cécile Monteil, qui voit en revanche des dérives possibles pour les applications dites de ” well-being ” ou de ” quantified-self “, par lesquelles des données de santé peuvent être utilisées à mauvais escient, ou conforter des comportements hypocondriaques.
Le médecin ne disparaîtra pas
” Si je n’ai pas effectué suffisamment de pas dans ma journée, ou si je refuse de partager les calories ingérées lors de mon dernier dîner, je deviens louche… Et ces applications peuvent déconnecter les gens d’eux-mêmes, en étant trop connectés à leurs données et à leurs algorithmes. C’est une dérive à laquelle il faut prêter attention, car les datas sorties de leur contexte peuvent être interprétées de multiples façons. ” C’est pourquoi le médecin ne disparaîtra pas : ” L’interprétation des données et la prise en charge du patient resteront des activités essentielles. Jamais une application ne pourra annoncer à une personne qu’elle a un cancer. Le rôle des médecins évoluera vers une médecine plus humaine : les nouvelles technologies libèreront du temps qui pourra être accordé à l’explication et à l’accompagnement. ”