Le numérique : remède à la démocratie ?
Le numérique offre des opportunités en matière de participation citoyenne et de démocratie locale. Les outils numériques, de plus en plus nombreux, permettent aux citoyens de prendre part plus facilement au débat public. Découvrons le travail de Clément Mabi, enseignant-chercheur à l’UTC, sur ces questions essentielles au cœur de la vie de nos cités.
À l’heure du numérique et des démarches collaboratives, la question de la participation citoyenne est repensée. Tout d’abord, elle recouvre une pluralité d’outils. En effet, en 2018, plus de 74 outils numériques de participation citoyenne à destination des territoires ont été recensés. De quoi donner du grain à moudre à Clément Mabi, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’UTC (laboratoire Costech). Ses recherches portent sur la participation politique en ligne et les usages citoyens du numérique. Récemment, il a travaillé sur différents objets comme l’ouverture des données publiques (Open data), l’usage du numérique dans les dispositifs de concertation, le développement du “Gouvernement Ouvert” (Open Government) et les civic tech. “Les outils numériques permettent notamment de faire appel à l’intelligence collective comme source de solutions innovantes, à l’image du financement participatif. On assiste à une grande diversification des outils, avec des applications mobiles, par exemple, et une diversification des ressources, comme les pétitions locales. La collectivité n’est plus seule, d’autres acteurs, comme change.org,mettent des outils à la disposition des citoyens. La prochaine phase, ce sera le décloisonnement des pratiques entre institutionnels et non institutionnels, ily a une tendance à l’hybridation”, explique Clément Mabi.
Les civic tech au rapport
Les outils numériques de participation citoyenne,appelés également civic tech, que l’on peut traduire par technologies citoyennes, désignent l’ensemble des applications et plateformes qui permettent de recourir à cette intelligence collective et de renforcer le lien démocratique entre les citoyens, les collectivités et l’État. Pas étonnant que l’engagement civique et la participation citoyenne soient aujourd’hui l’un des terrains de jeu préférés des entrepreneurs du numérique. De leur côté,un certain nombre d’institutions misent sur la participation des citoyens pour redynamiser la vie publique et donner corps à un “nouvel esprit de la démocratie”. “L’offre de participation aurait largement tendance à “donner le change pour que rien ne change” et à “démocratiser les inégalités” au fur et à mesure de son développement en favorisant certains groupes sociaux au détriment d’autres”,poursuit le chercheur avant d’alerter : “Les outils numériques de participation citoyenne favorisent l’inclusion de certains publics mais peuvent en exclure d’autres. Éviter de reproduire la fracture numérique est un enjeu clef pour assurer le succès des démarches de participation citoyenne.” Car n’oublions pas que l’ambition que l’on veut donner à ces outils est bien de transformer le fonctionnement de la démocratie, d’améliorer son efficacité et son organisation grâce à un renouvellement des formes d’engagement des citoyens.
Numérique et débat public
Twitter intensifie les controverses en favorisant leur circulation. Virginie Julliard a étudié les tweets parlant de la “théorie du genre” et du “mariage pour tous”. De nouvelles formes numériques d’expression qui se transforment en discours de haine.Virginie Julliard est maître de conférences à l’UTC. Elle est membre du laboratoire Costech et de l’équipe EPIN (Écritures, pratiques et interactions numériques).
Elle étudie le déploiement des controverses sur Twitter, notamment autour de débats sociétaux comme la “théorie du genre” ou le “mariage pour tous”. “M’appuyant sur le cas de la “théorie du genre”, je présente une méthode qui allie une approche qualitative telle que la sémiotique à une approche plus quantitative des corpus pour analyser la façon dont une controverse se déploie dans ce dispositif d’écriture numérique singulier”, explique la chercheuse dont le travail porte donc sur la structuration des débats publics, la production médiatique du genre et les dispositifs d’écriture numérique. “Pour ce faire, nous avons analysé un corpus de 107 209 tweets recueillis entre le 5 octobre 2014 et le 17 juillet 2017, selon une démarche qui peut être qualifiée de “sémiotique outillée”. L’outil que j’ai développé compte des fonctions de collecte inédites dans le paysage des outils d’analyse de Twitter. Il m’a notamment permis de récolter les images jointes aux tweets du corpus et de repérer les conversations dans lesquelles ces tweets s’inscrivent. C’est ainsi que j’ai pu observer que les conversations pouvaient accueillir des conflits et que le partage d’images permettait de repérer des communautés pas tout à fait alignées sur le plan politique mais partageant néanmoins une même position dans le débat”, souligne Virginie Julliard également auteure de l’ouvrage De la presse à Internet : la parité en question (Hermès-Lavoisier, 2012).