Créativité et aéronautique
Jean-François Georges est président d’honneur de l’Aéro-Club de France. Cet ingénieur civil de l’aéronautique, ancien de chez Dassault, pilote, expert dans les domaines de la sécurité, est également l’auteur du livre Blues dans les nuages publié cette année. Parmi ses passions, le jazz est en bonne place. Son regard sur la créativité et l’improvisation créatrice est plus que pertinent.
Jean-François Georges est ingénieur diplômé de Supaero. Il commence sa carrière chez Dassault comme ingénieur d’essais. Il rejoint ensuite la direction technique et participe, entre autres, aux programmes Mercure, Mirage 2000, Hermès, Rafale et devient un spécialiste reconnu des problèmes de sécurité et de conduite du vol. Directeur général des avions civils jusqu’à sa retraite en 2003, il préside ensuite l’Aéro-Club de France pendant huit ans. Il est également auteur. « J’ai hérité de mes parents trois passions plutôt envahissantes mais que je me suis efforcé de satisfaire tout au long de ma vie. Il y a les avions, les montagnes et la musique. J’ai eu la chance de pouvoir faire de l’une d’elles mon métier, ce qui a facilité les choses », annonce-t-il. Pour lui aussi, l’avion de demain devra tenir compte des préoccupations actuelles des experts du domaine : contraintes budgétaires, économie des carburants, pollution sonore… et dans le même temps satisfaire à ce qui reste un composant fondamental du déplacement : la vitesse. Que sera l’avion du futur ? Il adoptera vraisemblablement des formes nouvelles, par exemple des ailes volantes de très grande dimension… ? Y aura-t-il encore un pilote dans l’avion ? Le ciel sera-t-il habité d’engins de science-fiction ?
Une vision artistique de la créativité
« Vous imaginez qu’on puisse avoir au sein des écoles d’ingénieurs, comme à l’UTC, une formation qui suscite la capacité d’innovation des étudiants, leur créativité », lance-t-il. Dans l’entreprise, dire à une petite équipe : « Allez‑y, lâchez-vous », ça veut dire : « Improvisez, suivez votre inspiration avec ce que vous savez pour essayer d’inventer quelque chose. » « Si vous laissez faire les ingénieurs de base que les écoles forment par exemple et que j’ai été, on arrive à cette chose extraordinaire que tout est toujours pareil. Il n’y a qu’à voir dans l’industrie automobile qui fait montre d’une certaine monotonie dans l’ingénierie. Les véhicules se ressemblent tous. Rappelez-vous l’époque où sont sorties la R16 et la DS19 dans l’industrie française. Il n’y a pas deux objets roulants aussi différents. Il y avait à ce moment-là moins de protocoles et plus d’appels à la créativité. » Selon Jean-François Georges, le défaut de l’industrie actuelle c’est de manquer d’audace créative. C’est pour cela que l’idée de l’UTC de travailler sur ce champ de l’improvisation créatrice résonne en lui. « Regardez les avions de ligne. À moins d’être vraiment du métier, c’est difficile de les distinguer. Sans parler des Chinois et des Russes qui arrivent avec des avions strictement pareils. Cela peut faire du bien de mettre là aussi un peu d’impro’ oui. Il faut laisser les gens improviser. Certes donner un cadre et on leur dit maintenant allez‑y ! »
« L’improvisation c’est d’abord de la culture, une éducation »
Pour l’ancien pilote, l’atterrissage sur l’Hudson par le pilote Chesley « Sully » Sullenberger, en 2009, sur les eaux glacées du fleuve Hudson, sauvant ainsi la vie des 155 passagers à bord, est un magnifique exercice d’improvisation. Un pilote de ligne peut être amené à improviser, alors que tout est parfaitement cadré avec check-lists et procédures. Mais tout ne se passe pas toujours comme prévu. « Franchement, le moteur s’arrête au décollage de la Guardia, il faut avoir l’idée de se poser sur l’Hudson quand même. L’improvisation c’est d’abord de la culture, une éducation. À mon humble avis, la plus grande improvisation de toute l’histoire aérospatiale, je pense que c’est Apollo 13. On ne peut pas imaginer pire. Au moment où l’incident arrive, ils sont morts. On va les ramener vivants grâce à une improvisation monumentale », illustre Jean-François Georges. Parler d’improvisation dans l’industrie fait peur au préalable, dans un univers habitué aux processus, protocoles et autres méthodes. « Pourtant, lorsqu’on explique aux non-musiciens ce qu’est la vraie improvisation, à savoir quelque chose de très encadré, strict et particulièrement exigeant notamment dans la musique de jazz, que c’est quelque chose qui enrichit la création plutôt qu’un laisser-aller, les industriels peuvent le comprendre et s’en saisir. »
Quid de l’improvisation collective ?
Le savoir capitalisé de l’entreprise est un terreau idéal pour stimuler la créativité. Et ce, dans de très nombreuses activités, notamment aéronautiques et spatiales. « La notion d’improvisation ensemble dans le monde de l’entreprise me paraît essentielle. On la retrouve en effet dans le jazz. C’est ambitieux. Cela ne veut pas dire faire n’importe quoi. C’est une voie de créativité parmi les plus puissantes. Les chefs d’entreprise peuvent le comprendre aujourd’hui. Cela suppose de connaître tout un tas de techniques. Je me regarde moi musicien improviser. J’ai engrangé, vu mon âge, un tas de modèles musicaux, des transitions harmoniques conscientes et inconscientes. Je ne fais que ressortir des choses entendues, assimilées. Ce n’est pas de la création ex nihilo, spontanée, mais une proposition qui va chercher partout dans votre cortex des choses acquises dans le passé, conclut l’auteur. C’est une recréation, une régurgitation ! »