56 : Pour un univers sonore soutenable
Depuis la découverte du feu, le bruit est associé à l’activité humaine. La révolution industrielle avec, notamment, le développement des transports et de l’industrie a fait prendre une ampleur sans précédent aux nuisances sonores. Une ampleur qui a été croissante tout au long du 20e siècle avec l’augmentation exponentielle du parc automobile et des transports routiers, du trafic aérien et maritime ou encore de l’industrie. Ces nuisances longtemps tolérées car considérées comme le prix à payer pour le développement sont, peu à peu, devenues intolérables. Leur impact sur notre santé mais aussi sur la faune environnante a conduit les pouvoirs publics à durcir les normes et les industriels à s’adapter. Cependant, tout son n’est pas bruit. Il y a des sons agréables, le chant d’un rossignol par exemple, et d’autres désagréables, le coassement d’un corbeau ou encore le bruit d’une perceuse. L’équipe Acoustique et vibrations travaille dans ce contexte pour réduire au maximum les bruits parasites et rendre plus agréables les sons du quotidien, en particulier dans le secteur automobile et aéronautique. Mais les compétences de l’équipe peuvent aussi être mises à profit pour la préservation de l’environnement, par exemple pour détecter les stridulations de larves de hannetons qui menacent la forêt de Compiègne. En un mot, l’équipe participe à l’élaboration d’un univers sonore soutenable.
Maître de conférences habilité à diriger des recherches, Jean-Daniel Chazot est responsable de la filière Acoustique et Vibrations pour l’Ingénieur (AVI) au sein du département ingénierie mécanique.
Tout son n’est pas bruit. Les sons et même les vibrations font partie de l’environnement naturel de l’homme. Mais les « bruits » ont pris une ampleur particulière avec l’essor de l’activité humaine.
« Les ingénieurs cherchent non seulement à limiter ces bruits mais aussi à améliorer les sons émis par les objets du quotidien. En pratique, ils essayent même d’adapter le son à l’utilisateur. L’acoustique est ainsi un argument marketing majeur dans tous les secteurs. Par ailleurs, la réduction des vibrations permet aussi d’augmenter la durée de vie des appareils pour un développement plus soutenable », affirme-t-il.
Toutefois, le rôle de l’ingénieur en vibroacoustique évolue. En cause ? « L’évolution et le durcissement des réglementations liées aux nuisances sonores dans un souci de protection du consommateur, mais aussi de l’environnement, à la suite d’une prise de conscience des effets de la pollution sonore. L’OMS estime ainsi que les nuisances sonores constituent la deuxième cause de morbidité – 12 000 morts prématurées en Europe – derrière la pollution de l’air. On peut citer également une étude de Bruitparif concluant que les Franciliens perdent 10 mois de vie en bonne santé à cause des nuisances sonores induisant notamment du stress, de l’hypertension, des troubles du sommeil et cardiovasculaires », souligne Jean-Daniel Chazot. Réduire ces nuisances constitue donc un enjeu sanitaire majeur pour l’être humain mais aussi pour les écosystèmes. « Une étude américaine montre par exemple que l’activité humaine double le bruit de fond dans 63 % des zones naturelles censées être protégées. Nuisances qui influent sur la santé des animaux, troublent leurs communications et les amènent à s’éloigner de leur territoire. On peut citer également les effets néfastes du transport maritime, dont le niveau sonore double tous les dix ans, sur la vie sous-marine », ajoute-t-il.
Une réduction qui s’avère, de ce fait, un défi majeur pour les ingénieurs vibroacousticiens. « À l’UTC, nous donnons à nos étudiants une solide formation théorique et pratique pour qu’ils puissent mesurer, modéliser, comprendre, et traiter les vibrations et les émissions acoustiques associées. Avec ces différentes compétences, ils peuvent réduire les nuisances à la source, et traiter les structures pour diminuer leur rayonnement acoustique », précise-t-il.
Des problématiques qui donnent aussi lieu à des recherches, menées très souvent avec des partenaires industriels mais aussi avec des financements publics de l’État français, de la Région des Hauts-de-France ou de l’Europe.
« Une thèse est par exemple en cours, avec le Centre régional d’innovation et de transfert de technologie (CRITT), sur la caractérisation expérimentale du bruit d’un turbo », détaille-t-il.
Autres projets en cours ? « On travaille actuellement avec Saint-Gobain, dans le cadre d’une thèse sur la modélisation vibroacoustique d’un pare-brise. Une autre est en cours avec Safran. Le but ? Comprendre et réduire les bruits désagréables des moteurs électriques », conclut Jean-Daniel Chazot.
Jean-Daniel Chazot détaille les nuisances liées aux frelons asiatiques, une espèce figurant sur la liste des espèces exotiques invasives en Europe. Une thèse ministérielle est consacrée à ce qui est devenu un sujet de recherche.
Une espèce qui pose des problèmes tant sanitaires qu’environnementaux. « Les frelons sont dangereux pour l’homme ; ils le sont également pour les abeilles. Ce qui induit des dégâts pour les apiculteurs mais aussi pour l’environnement puisque les abeilles jouent un rôle majeur dans la pollinisation », explique-t-il.
Que faire pour en limiter les nuisances d’autant que, souvent, on ne peut détecter les nids qu’en automne lorsque les arbres perdent leur feuillage ? Jean-Daniel Chazot a alors eu l’idée de contacter Pedro Castillo d’Heudiasyc qui travaille sur les drones. « Pour nous, il s’agissait de réfléchir à un système de drone doté d’une antenne acoustique qui permettrait de suivre un frelon muni d’une petite balise sonore afin de localiser les nids sans attendre l’automne », dit-il.
Ce qui devait être un projet étudiant prit, finalement, un autre cours. « On a répondu à des appels à projets qui nous ont permis de bénéficier d’une thèse ministérielle sur ce sujet de recherche lequel implique, outre Roberval et Heudiasyc de l’UTC, l’Institut Jean-le-Rond‑d’Alembert de Sorbonne Université », souligne Jean-Daniel Chazot.
Un sujet qui exige des compétences spécifiques. « À l’UTC, nos compétences portent sur les drones et l’imagerie acoustique. Quant à l’Institut d’Alembert, il apporte son expertise dans les capteurs MEMS. Ce que l’on compte faire, c’est coller un haut-parleur MEMS sur un frelon et le suivre avec une antenne de microphones MEMS sur le drone. Ce sont des capteurs miniaturisés très légers que l’on peut installer en nombre pour une masse additionnelle raisonnable. Ce qui n’a jamais été fait jusqu’ici », précise-t-il.« Toutefois, avant d’en arriver là, il nous faudra lever certains verrous scientifiques mais aussi technologiques, par exemple la difficulté du suivi d’une cible acoustique en mouvement », conclut-il.
Détection des larves de hanneton infestant la forêt compiégnoise
Après deux ans de classes prépa à Arras, Camille Leblanc intègre l’UTC en 3e année en ingénierie mécanique et poursuit son cursus dans la filière Mécatronique, actionneurs, robotisation et systèmes (MARS). Il commencera une thèse en imagerie acoustique embarquée au sein de Roberval à l’automne 2021.
C’est à la suite d’une UV sur le traitement du signal sonore avec Solène Moreau, « une UV que j’ai beaucoup appréciée », dit-il, qu’il se découvre une passion pour la thématique.
Manquant de crédits, en 4e année, il a su rebondir en optant pour un projet à mener entre les deux semestres afin de les rattraper.
Cela tombait bien puisque, au même moment, Jean- Daniel Chazot proposait un projet intersemestre sur l’étude du signal émis par les larves de hannetons menaçant la forêt de Compiègne mais aussi ailleurs en Europe. « Nous étions trois étudiants à postuler et fûmes tous les trois retenus, le travail à faire étant conséquent », précise-t-il.
Le projet proprement dit ? « Nous avons repris les travaux de madame Görres, une chercheuse allemande, qui a utilisé une méthode fractale pour détecter la présence de larves et, surtout, la quantifier. Nous sommes donc partis de son script, puis l’avons amélioré en le testant sur de vraies stridulations de hannetons », conclut Camille Leblanc.
Assistant de recherche à l’ONF, Stéphane Brault ausculte les forêts de Compiègne et Laigue. Spécialisé en entomologie, il a en ligne de mire les larves de hannetons qui infestent les 2/3 de leur surface, à des densités variables.
Des larves qui dévorent les racines durant 4 ans, empêchant ainsi les régénérations naturelles et les plantations. L’idée de la collaboration avec l’UTC ? « En entomologie, certaines espèces ne se déterminent que par l’acoustique. Or, en cherchant dans la littérature scientifique, j’ai réalisé que des recherches scientifiques très abouties ont été faites sur des hannetons infestant les champs de canne à sucre dans certains pays de l’océan Indien. À l’ONF, on s’est dit qu’il y avait là une piste à explorer avec l’UTC », explique-t-il.
Jean-Daniel Chazot, responsable de la filière AVI, saisit l’occasion pour monter un projet intersemestre sur l’étude du signal émis par les larves. Un projet trop court pour un sujet aussi complexe. « Il faut savoir qu’il se passe 4 ans entre le dépôt des oeufs et l’envol du hanneton. Des études de longue haleine seraient donc nécessaires dans le cadre de travaux de thèse, par exemple », souligne-t-il.
D’autant que les obstacles à franchir sont nombreux. « Un des principaux, c’est de ne pas avoir d’outil pour établir un monitoring de l’insecte, c’est-à-dire que l’on est incapables de dire combien il y en a. Aujourd’hui, le seul moyen dont on dispose est de faire des trous dans le sol. Or, les populations peuvent varier de 1 à 10 d’un trou à l’autre distant d’un mètre », conclut Stéphane Brault.
Professeur à l’UTC depuis 2012, Nicolas Dauchez est membre de l’équipe Acoustique et vibrations au sein du laboratoire Roberval. Il est spécialisé dans la réduction des nuisances sonores par le biais de méthodes dites « passives ».
Concrètement ? « Selon le contexte, on essaie de réduire les nuisances en utilisant des matériaux absorbants qui ont la propriété d’être poreux comme les mousses ou les matériaux fibreux. Dans l’automobile par exemple, il s’agit d’habiller avec le matériau approprié le pavillon, le sol, les garnitures de portières, la planche de bord mais aussi tout ce qui peut être autour du bloc motopropulseur. Dans le cas de l’aéronautique, il s’agit d’utiliser un habillage doté d’une double fonction : un rôle d’isolation thermique mais aussi acoustique », explique-t-il.
Le durcissement des normes en matière de nuisances sonores influence un grand nombre de secteurs. D’où l’essor de l’activité de vibroacoustique, autrement dit l’étude des vibrations qui engendrent des sons. « On va s’intéresser aux vibrations des structures. Dans l’automobile par exemple, les vibrations d’une caisse de voiture sont générées par diverses sources. Il y a notamment les vibrations d’origine aérodynamique, celles de la route ou encore celles du moteur qui peuvent produire du son à l’intérieur comme à l’extérieur du véhicule. On va ainsi modéliser diverses situations et tenter de trouver les moyens, par le biais de matériaux adaptés, de limiter les nuisances, etc. », détaille Nicolas Dauchez. Pour cela, les vibroacousticiens usent de deux approches, l’une dédiée à la simulation numérique, l’autre expérimentale.
Le rôle de la simulation numérique ? « On va développer des modèles pour expliquer les phénomènes observés. En effet, dans notre démarche, on essaie de comparer les mesures aux calculs. Si les résultats s’avèrent probants, on en déduit que le modèle est correct et l’on va s’appuyer dessus afin d’optimiser un certain nombre de solutions et vérifier, expérimentalement, leur validité », souligne-t-il.
Les outils de l’expérimentation ? « Le labo est doté d’un grand nombre d’équipements de mesure comme une chambre anéchoïque, c’est-à-dire qui ne provoque pas d’écho, dans laquelle on peut effectuer des mesures sans aucune pollution sonore, ni résonance acoustique. On a également l’inverse. À savoir, une chambre réverbérante avec des propriétés opposées mais utiles pour mesurer une puissance ou une isolation acoustique. Plusieurs conduits acoustiques permettent d’étudier les silencieux et un vibromètre laser nous permet de mesurer les vibrations de structure sans contact. Enfin, un laboratoire est dédié à la caractérisation des matériaux acoustiques », précise-t-il.
Ce savoir-faire combiné à une exigence croissante dans la traque aux nuisances sonores dans nombre de secteurs a mené à plusieurs partenariats avec le monde industriel.
Pour preuve ? De nombreux projets tels Ecobex, avec notamment Renault, Saint-Gobain, Vibratec et ESI Group, une société spécialisée en simulation numérique en vibroacoustique ou Sempae, avec encore Renault, ESI Group et Trèves.
L’objectif d’Ecobex par exemple ? « En Europe, le mode de calcul du bruit a été modifié afin d’être plus en phase avec la conduite en ville qui comprend des épisodes d’accélération, des épisodes à vitesse constante, etc. Des normes plus sévères avec un objectif : que le bruit du véhicule thermique ne dépasse pas celui du véhicule électrique à l’horizon 2024. Or, les trois sources de bruit des voitures sont respectivement le bruit de l’échappement, celui du moteur et enfin le contact des pneus sur la chaussée. L’idée était de simuler le bruit de passage et de développer des écrans acoustiques innovants en modélisant les propriétés des matériaux poreux, mousses ou fibreux, soumis au procédé de thermocompression », explique Nicolas Dauchez. Projet qui a donné lieu à la publication de trois articles scientifiques.
Une problématique qui se poursuit avec le projet Sempae lancé en 2020. « Cette fois-ci, l’idée est de mettre les écrans acoustiques, soit isolants soit absorbants, directement au contact du moteur pour gagner en masse. Cela génère des contraintes supplémentaires, par exemple le comportement du matériau par rapport à la température ou aux vibrations du moteur », conclut-il.
Deux perspectives de développement de cette thématique se dessinent actuellement : d’une part, l’utilisation de métamatériaux, qui sont des matériaux structurés de façon à surpasser leurs propriétés d’origine, grâce à des résonances ou à leur périodicité ; d’autre part, au-delà de la réduction des nuisances sonores, la prise en compte de l’expérience sonore de l’utilisateur, un pas vers le design sonore.
Maître de conférences à l’UTC depuis 2011, Solène Moreau est spécialisée dans les techniques de mesure en acoustique en présence d’écoulement, en particulier, dans les secteurs aéronautique et automobile. Elle travaille, notamment, sur les silencieux composés de matériaux absorbant le bruit.
L’idée ? « Il s’agit de développer de nouvelles techniques de mesure pour caractériser la propagation du bruit avec écoulement d’air et d’étudier de nouveaux silencieux ou des phénomènes aérodynamiques générateurs de bruit. Phénomènes qui combinent l’acoustique et l’écoulement. On sait que les sources prédominantes de bruit dans les aéronefs par exemple sont les bruits des moteurs qui peuvent être réduits par des silencieux et les bruits aérodynamiques », explique-t-elle.
Réduire ces bruits constitue un enjeu sanitaire majeur, d’autant que l’OMS a été amenée, en 2018, à durcir ses seuils pour le bruit aérien dont les nuisances sont considérées comme les plus dommageables pour la santé.
Ce qui a stimulé de nombreuses recherches. Une thèse a ainsi permis le développement d’une technique de mesure permettant la validation des modèles d’impédance acoustique de silencieux.
Concrètement ? « L’impédance acoustique d’un matériau est ce qui détermine son comportement. À savoir, sa capacité d’absorption des sons. Les modèles numériques d’impédance développés dans la littérature ont été validés expérimentalement sur notre banc aéroacoustique qui peut aller jusqu’à un nombre de Mach de 0,25, soit une vitesse d’écoulement d’air d’environ 300 km/h, pour des silencieux classiques ou Single Degree of Freedom Systems (SDOF). Ce sont des plaques en métal microperforées dotées, en dessous d’une structure en nids d’abeilles soutenue, elle-même, par un fond rigide. Une configuration qui permet d’absorber les bruits comme ceux d’un turboréacteur d’avion. Des bruits moteur en somme que l’on entend surtout au décollage et à l’atterrissage », précise-t-elle.
Cependant, dans les avions par exemple, les bruits n’émanent pas que des moteurs. Il y a aussi les bruits aérodynamiques. Autrement dit, les bruits générés par un écoulement d’air au contact d’un obstacle. Dans ce cas de figure : ce sont les ailes d’avions. « Une thèse consacrée à cette problématique est en cours avec deux axes : il s’agit d’abord de développer une technique de mesure laser pour l’acoustique avec écoulementd’air, puis d’étudier le bruit généré par un écoulement sur un profil d’aile d’avion. C’est en général le bruit que l’on entend lorsque les avions sont hauts dans le ciel. Actuellement, on sait bien qualifier les bruits générés mais on connaît moins bien les mécanismes de génération. C’est ce que l’on va essayer de comprendre », conclut Solène Moreau.
Caractérisation des matériaux poreux acoustiques
C’est à l’UTC qu’Alexandre Wilkinson fit toutes ses études. Diplômé du département d’ingénierie mécanique et spécialisé en acoustique et vibrations, il démarra, en octobre 2020 après son stage de fin d’études d’ingénieur chez Renault, un doctorat au sein du laboratoire Roberval.
Le sujet de sa thèse ? « L’objectif avec cette thèse est de caractériser des matériaux poreux d’encapsulage moteur, comme les mousses ou les matériaux fibreux. Cette thèse s’inscrit dans SEMPAE, un projet industriel, qui compte, outre l’UTC, Renault, l’équipementier Trèves et ESI Group, spécialisé dans la simulation numérique », explique-t-il.
Un projet dédié à la traque des nuisances sonores, en particulier dans les véhicules automobiles. « L’objectif du projet est de développer un logiciel permettant de simuler le comportement de matériaux poreux encapsulant un moteur de voiture et calculer le bruit rayonné ou, à l’inverse, atténué par l’utilisation de tel ou tel matériau. Mon rôle au sein du projet est de caractériser ces différents matériaux poreux, trouver les modèles adaptés à leur mise en oeuvre pour, in fine, en modéliser le comportement dans ce logiciel », précise-t-il.
Des matériaux pas faciles à simuler et dont la modélisation se fera par étapes. « J’ai commencé par comparer les mesures à des simulations utilisant les méthodes les plus simples, principalement les matrices de transfert où l’on fait l’hypothèse que l’on a un plan infini de mousse. Ensuite, on passera à la méthode des éléments finis, qui consiste à discrétiser un espace qui peut avoir une géométrie plus complexe, et d’y calculer une grandeur en chaque point (ou nœud) créé », conclut Alexandre Wilkinson.
Spécialisé dans le design sonore, Christoph Harbonnier est enseignant dans la filière design de l’UTC au sein du département Ingénierie mécanique. Il anime, depuis une quinzaine d’années, le studio Audionaute, fondé par le compositeur de musique contemporaine Michel Redolfi.
Designer et musicien, c’est tout naturellement que Christoph Harbonnier s’intéressa à tous les aspects du son. « Il s’agit, me concernant, de réfléchir notamment au timbre des sons selon le contexte. Dans le cadre du studio Audionaute par exemple, nous avons réalisé des opérations de design sonore dans les transports publics, en particulier dans les tramways de villes telles que Brest, Besançon ou Nice », explique-t-il. Son approche de l’habillage sonore ? « Le plus important est de “revisiter” le confort des usagers, particulièrement dans le contenu sonore. Nous étudions de près l’histoire, la culture ou encore l’architecture de la ville afin de personnaliser au mieux l’ambiance sonore retenue pour chaque opération. Un travail passionnant mais complexe où on essaie de créer un habillage particulier pour chaque station mais aussi d’adapter par exemple la sonorité des messages selon que l’on est en journée, en général plus bruyante, ou en soirée où il s’agira d’apaiser les passagers. Un habillage sonore qui doit “parler” aux usagers en alliant fonction, confort et plaisir », assure-t-il.
Une approche qui les amène, parfois, à intervenir en amont dans le choix du matériel audio par exemple. « L’équipement de base des tramways, qu’ils soient de Bombardier, d’Alstom ou de l’espagnol CAF, est catastrophique en matière acoustique et indigne du confort des usagers. Nous avons ainsi, systématiquement, remplacé les haut-parleurs de base par un système de petites enceintes que l’on a mis au point avec Audax, un fabricant de hautparleurs français », souligne Christoph Harbonnier. Un savoir-faire qui intéresse tous les grands du secteur en France : Keolis, Véolia et Transdev.
Un savoir-faire qu’il essaie aussi de transmettre aux étudiants dans le cadre de l’UV Design acoustique. Une première dans une université de technologie. « C’est une UV commune aux étudiants d’AVI et d’IDI qui relie le département acoustique et vibrations industrielles où, grâce à des outils de mesure, il s’agit d’analyser les caractéristiques physiques du son et le département design où l’on conçoit, on imagine, on élabore des sons », conclut-il
Architecte, urbaniste et ergonome, Pierre-Henri Dejean a rejoint l’UTC en 1984. Il est responsable de la filière Ingénierie du Design Industriel (IDI).
Son premier sentiment sur le son ? « À l’époque, je pourrais dire que ma “rencontre” avec les sons a été négative puisque, aussi bien en tant qu’architecte qu’ergonome, le son, dans le secteur industriel, est associé au bruit – bruits des machines, par exemple. Depuis, l’industrie a progressé poussée par les normes et la réglementation », assure-t-il.
Toutefois, en travaillant dans le domaine du produit, il change le regard porté sur le bruit pour arriver au son. « J’avais déjà effectivement beaucoup évolué en passant du monde des conditions de travail dans l’industrie au domaine du produit. En arrivant à l’UTC, j’ai intégré la filière “design” et j’ai tout naturellement essayé d’intéresser la filière Acoustique et vibrations à la problématique du produit, domaine qui exige de penser à l’utilisateur », souligne-t-il.
Comment passer du bruit au son lorsque l’on connaît les nuisances sanitaires et environnementales causées par le premier et l’intérêt opératoire du second ? « Je dirai que le son est inhérent à l’activité humaine. Le premier designer n’est-il pas celui qui a créé le premier silex ? Les sons dans notre environnement constituent un système d’information très fort. Une mer démontée par exemple n’émet pas les mêmes sons qu’une mer calme », soutient-il.
Le rôle des acousticiens pour l’ergonome et/ou le designer du son ? « Avec les acousticiens et notamment leurs appareils de mesure et leurs systèmes d’enregistrement, nous allons essayer en tant qu’ergonomes puis en tant que designers de distinguer les sons utiles de ceux qui sont inutiles », explique Pierre-Henri Dejean.
Concrètement ? « On va supprimer les sons inutiles assimilés au bruit pour deux raisons. La première étant qu’ils ne servent à rien et la seconde qu’ils peuvent gêner les sons utiles. Ensuite, on isole les sons utiles et on essaie de voir ce que l’être humain en retient, s’il en a conscience, etc. On parle d’intelligence acoustique qui, souvent, est du domaine du réflexe. Si l’on ferme une porte par exemple, on sait, rien qu’au son émis, si elle bien fermée ou pas. Dans une voiture par exemple, rien qu’au son émis, on sait que quelque chose cloche dans le moteur. Enfin, l’objectif du designer est d’aller plus loin : d’arriver au son plaisir configuré pour être à la fois utile et plaisant », conclut-il.