36 : Où en est la mécanique numérique ?

Incon­tourn­able, la mécanique numérique s’insère aujourd’hui dans l’ensemble de la chaîne de con­cep­tion rapi­de des pro­duits fab­riqués par l’industrie. S’appuyant sur les out­ils de mod­éli­sa­tion géométrique et de visu­al­i­sa­tion, et inté­grant les out­ils de sim­u­la­tion et d’optimisation, elle réduit les délais de con­cep­tion, lim­ite les erreurs et s’insère dans l’esprit du développe­ment durable en aidant à con­cevoir des pro­duits de plus en plus respectueux de l’environnement.

Pour l’UTC, ce domaine n’est pas uniquement un des nombreux domaines dans laquelle elle s’investit en tant que structure dédiée à l’enseignement des sciences et technologies. Lancée dans les années 1970 par trois pionniers, Jean Louis Batoz, Gouri Dhatt et Gilbert Touzot, la mécanique numérique a constitué un domaine d’excellence à l’UTC avec plus de 200 thèses présentées, confirmant une place de leader dans le domaine.

Si aujour­d’hui la dis­ci­pline s’est large­ment répan­due, l’UTC a néan­moins souhaité célébr­er ses 40 ans d’in­vestisse­ment en organ­isant un col­loque les 26 et 27 novem­bre 2015. L’ob­jec­tif est à la fois de rap­pel­er le temps des pio­nniers, mais aus­si de faire le point sur les avancées et la manière dont les out­ils de sim­u­la­tion se sont dévelop­pés, touchant des domaines de plus en plus nom­breux. Banal­isés dans l’in­dus­trie mécanique, ces out­ils con­cer­nent aujour­d’hui de nom­breux secteurs d’ac­tiv­ités où des com­porte­ments mul­ti­physiques sont sus­cep­ti­bles d’être simulés.

” Il existe encore d’im­por­tantes marges de pro­grès, comme en bio­mé­canique et sci­ences de l’en­vi­ron­nement, par exem­ple ” explique Jean Louis Batoz, pro­fesseur Emérite à l’UTC qui souligne aus­si des per­spec­tives dans le domaine de la physique appliquée à des envi­ron­nements com­plex­es, mul­ti­physiques et mul­ti­échelles comme la physique urbaine. Autre par­tic­u­lar­ité du col­loque de novem­bre, la remise du diplôme de Doc­teur Hon­oris Causa à Klaus-Jür­gen Bathe, un des plus émi­nents pio­nniers du domaine.

D’o­rig­ine alle­mande, Klaus-Jür­gen Bathe tra­vaille depuis 40 ans au MIT où il s’est con­fron­té aux aspects les plus fon­da­men­taux du domaine, ain­si qu’à la réal­i­sa­tion de logi­ciels d’u­til­i­sa­tion indus­trielle. Auteurs de plusieurs livres et de cen­taines d’ar­ti­cles, il est impliqué dans une ving­taine de revues internationales.

Depuis la simulation de la réaction nucléaire à Los Alamos ou l’invention de la mécanique des fluides numérique par la NASA dans les années 1940, à la systématisation de l’usage des outils numériques dans la conception industrielle actuelle, la mécanique numérique est passée par toutes sortes d’étapes. Avec comme objectif constant d’améliorer les simulateurs afin de gagner du temps et de la précision.

Manque de temps, dif­fi­cultés à men­er des expéri­ences grandeur nature et appari­tion des pre­miers cal­cu­la­teurs numériques, la fin de la sec­onde guerre mon­di­ale et plus par­ti­c­ulière­ment le pro­jet Man­hat­tan con­stituent le berceau de la sim­u­la­tion numérique. Les pre­miers travaux ont con­sisté à simuler les mod­èles de prop­a­ga­tion de réac­tions nucléaires, util­isés pour fab­ri­quer les pre­mières bombes atomiques.

Alors que les cal­cu­la­teurs de l’époque met­taient plusieurs sec­on­des pour réalis­er une mul­ti­pli­ca­tion, un change­ment s’opère dans les années 1970 où la puis­sance de cal­cul aug­mente sig­ni­fica­tive­ment. Les out­ils de sim­u­la­tion mécanique com­men­cent à trou­ver leur place dans l’in­dus­trie. ” Au Cen­tre Tech­nique des Indus­tries Mécaniques (CETIM) ou à l’UTC, les pre­mières recherch­es débu­tent dans les années 1972–75 et don­neront nais­sances aux pre­miers logi­ciels util­isés par l’in­dus­trie dans les années 1980 ” explique Man­sour Afza­li, Délégué sci­en­tifique au CETIM.

Décomposer l’espace de travail

Une des méth­odes les plus util­isée est celle des élé­ments finis. Elle con­siste à décom­pos­er l’e­space et les objets en mailles (ou élé­ments) les plus sim­ples pos­si­bles. Le sys­tème d’équa­tions com­plex­es qui mod­élise l’ensem­ble du sys­tème est obtenu par assem­blage d’in­for­ma­tions cal­culées sur chaque maille. ” Les pre­miers temps de la mécanique numérique ont con­sisté à con­stru­ire des mod­èles capa­bles de représen­ter les objets mécaniques et à les ren­dre cohérents avec la réal­ité et les lois de la mécanique ” pré­cise Man­sour Afzali.

L’ob­jec­tif est de simuler le fas­ti­dieux proces­sus de la con­cep­tion manuelle. Elle débute par la réal­i­sa­tion d’un dessin, sur lequel est réal­isé un ensem­ble de cal­culs afin de le ren­dre cohérent avec les lois de la physique. Un pro­to­type est alors pro­duit, puis soumis à un ensem­ble de tests. Selon les résul­tats, le proces­sus repart, éventuelle­ment au point de départ, afin de cor­riger les défauts. ” Ce procédé est sus­cep­ti­ble d’être réitéré autant de fois que néces­saire, jusqu’à obtenir un pro­to­type pas­sant les tests répon­dant au cahi­er des charges ” souligne le délégué sci­en­tifique qui pré­cise que les out­ils de sim­u­la­tion numérique per­me­t­tent de nom­breux tests sur ordi­na­teur évi­tant de longue et coû­teuses itérations.

Si la mécanique numérique a divisé par deux le temps de con­cep­tion d’une voiture, elle a aus­si per­mis de con­cevoir un avion comme l’Air­bus A380 unique­ment à par­tir de sim­u­la­tion sur ordinateur.

Améliorer les modèles et les logiciels

Une fois les pre­miers out­ils de mécanique numérique disponibles dans les années 1980, de nom­breux essais sont menés afin de pré­cis­er les car­ac­téris­tiques des matéri­aux et valid­er les résul­tats des cal­culs. Ces travaux per­me­t­tent d’amélior­er les mod­èles, ain­si que les logi­ciels. Ces derniers subis­sent d’im­por­tant tests dans les années 1990 afin d’ac­croître leur fia­bil­ité. De plus en plus d’ingénieurs sont for­més à ces out­ils qui se répan­dent dans l’industrie.

L’in­for­ma­tique se développe aus­si très rapi­de­ment et la sim­u­la­tion numérique com­mence à être inté­grée dans la chaine de la con­cep­tion-fab­ri­ca­tion (CFAO). ” Ces dif­férentes avancées, l’ac­croisse­ment de la robustesse des mod­èles et l’ho­mogénéi­sa­tion des démarch­es de mod­éli­sa­tion per­me­t­tent des gains de temps impor­tants en lim­i­tant sig­ni­fica­tive­ment le nom­bre d’es­sais néces­saires ” pré­cise Man­sour Afza­li. Les out­ils de mécanique numérique gag­nent la con­fi­ance des indus­triels et devi­en­nent incontournables.

De plus en plus de possibilités

La puis­sance des ordi­na­teurs aug­men­tant régulière­ment, il devient pos­si­ble d’en­tre­pren­dre d’im­por­tants cal­culs afin d’op­ti­miser les pro­duits. A par­tir d’un ensem­ble de paramètres, de con­traintes et d’ob­jec­tifs, l’op­ti­mi­sa­tion con­siste à trou­ver la meilleure solu­tion par­mi de nom­breuses possibilités.

” L’op­ti­mi­sa­tion est sou­vent le tra­vail d’ingénieurs com­pé­tents car il est néces­saire de faire les bons choix aux dif­férentes étapes de la con­cep­tion ” explique Man­sour Afza­li pour qui l’in­ter­ven­tion d’un expert reste indis­pens­able afin de véri­fi­er les don­nées fournies et les résul­tats obtenus. Alors que la puis­sance des out­ils explose et que les mod­èles s’ho­mogénéisent de plus en plus, les études mécaniques intè­grent des approches prob­a­bilistes afin d’é­val­uer la durée de vie des com­posants en ten­ant compte de la vari­abil­ité des paramètres de con­cep­tion et d’usage. Elles s’in­téressent égale­ment à des matéri­aux de plus en plus com­plex­es, comme les matéri­aux com­pos­ites. De nou­velles méth­odes appa­rais­sent, par exem­ple pour pren­dre en compte la vitesse de défor­ma­tion des matéri­aux afin de simuler la résis­tance des struc­tures aux chocs. Aujour­d’hui, ces out­ils con­cer­nent aus­si bien la con­cep­tion de boites de con­serves que la réponse de la tour Eif­fel à des événe­ments cli­ma­tiques ou sismiques. ”

Tous les com­posants mécaniques sont mod­élisés et cal­culés et l’in­dus­trie dans son ensem­ble a recours à la mécanique numérique ” souligne Man­sour Afza­li. L’outil est banal­isé au point que les jeunes ingénieurs lui font par­fois aveuglé­ment con­fi­ance, esti­mant ses résul­tats au même niveau de fia­bil­ité qu’un essai grandeur nature. Et Man­sour Afza­li d’in­sis­ter sur le rôle de l’ingénieur qui ” a la respon­s­abil­ité de véri­fi­er les hypothès­es et les mod­èles sans jamais oubli­er que la qual­ité des résul­tats de cal­cul en dépendent “.

Chez le constructeur automobile Renault, l’emboutissage de pièces suit une chaîne de conception numérique depuis le design jusqu’aux tests finaux. Si certaines étapes se standardisent, devenant gérables par des opérateurs de moins en moins qualifiés, la mise en œuvre d’opérations plus élaborées demande la connaissance et le savoir faire d’ingénieurs spécialisés.

” Simuler, c’est faire croire que c’est réel et donc essay­er de repro­duire ce qui se passe dans la réal­ité ” pré­cise Frédéric Merci­er, Ingénieur de recherche chez Renault, spé­cial­isé en sim­u­la­tion numérique et rat­taché au départe­ment emboutis­sage. L’emboutissage con­siste à déformer la sur­face plane d’une tôle pour obtenir une struc­ture en trois dimen­sions la plu­part du temps non assim­i­l­able à un plan. Si l’ex­er­ci­ce de mise en géométrie n’est pas tou­jours évi­dent, la pièce doit aus­si répon­dre à un ensem­ble de car­ac­téris­tiques d’usages, comme celles exigées pour pass­er les crash-tests.

” Un bon mod­èle per­met de s’ap­procher d’une réal­ité ” explique Frédéric Merci­er. La chaîne de con­cep­tion d’une pièce de car­rosserie intè­gre le design de la pièce, l’ensem­ble des cal­culs pour son emboutis­sage, ain­si que la sim­u­la­tion de la tenue aux chocs. Le nom­bre d’es­sais grandeur nature en est sig­ni­fica­tive­ment lim­ité, la plu­part des tests étant réal­isés en simulation.

Des opérations courantes facilitées

Con­crète­ment, l’ingénieur mod­élise la car­rosserie par un mail­lage con­sti­tué d’élé­ments finis dits ” de coque mince “, c’est-à-dire adap­tés à des struc­tures minces. Ce type de struc­tures per­met de mod­élis­er env­i­ron 80% des pro­duits courants et les tech­niques et out­ils sont suff­isam­ment sim­pli­fiés et stan­dard­is­és pour qu’ils soient util­is­ables par des tech­ni­ciens après une courte for­ma­tion spé­cial­isée. ” L’u­til­i­sa­tion de ces out­ils se démoc­ra­tise et les per­son­nels diplômés comme les doc­teurs ou les ingénieurs sont main­tenant sol­lic­ités pour des tâch­es plus com­plex­es ” pré­cise Frédéric Mercier.

L’optimisation une affaire d’experts

C’est le cas de l’op­ti­mi­sa­tion, une tâche qui con­siste à trou­ver les meilleures con­fig­u­ra­tions pour répon­drent à une liste de con­traintes don­nées. Par exem­ple, en terme de réduc­tion des émis­sions de CO2, une piste d’amélio­ra­tion con­siste à alléger la masse du véhicule tout en respec­tant les con­traintes liées aux crashs et à l’a­cous­tique. Comme ces deux critères s’avèrent rel­a­tive­ment antag­o­nistes en ter­mes d’é­pais­seur et de rigid­ité des tôles, l’op­ti­mi­sa­tion con­siste à trou­ver dif­férentes pos­si­bil­ités répon­dant aux besoins.

D’autres critères d’ar­bi­trages inter­vi­en­nent alors pour choisir entre ces pos­si­bil­ités, comme le coût ou la facil­ité de pro­duc­tion de la pièce. Les cal­culs d’op­ti­mi­sa­tion sont générale­ment plus com­plex­es à men­er lorsque des con­traintes de chocs sont intro­duites. Il est alors néces­saire de trou­ver les bons mod­èles et les bons out­ils afin d’éviter des temps de cal­cul trop longs. ” Il n’est effec­tive­ment pas raisonnable de lancer un cal­cul de plus de 50 heures “, pré­cise Frédéric Mercier.

S’adapter aux cas particuliers

Si l’op­ti­mi­sa­tion est une affaire deman­dant du doigté, c’est aus­si parce que les normes se mul­ti­plient. Dif­férentes selon les pays, elles con­cer­nent essen­tielle­ment la sécu­rité, les per­for­mances et l’en­vi­ron­nement. ” En matière de chocs, plus d’une dizaine de sit­u­a­tions sont pris­es en compte ” explique Frédéric Merci­er, citant les chocs pié­tons, frontaux ou latéraux.

Les besoins d’ex­per­tise ne se lim­i­tent pas à l’op­ti­mi­sa­tion mais con­cer­nent aus­si des procédés comme l’i­den­ti­fi­ca­tion de critères numériques afin de détecter d’éventuels défauts d’aspect ou encore l’u­til­i­sa­tion de matéri­aux com­pos­ites. Ces derniers se désagrè­gent en cas de choc, trans­for­mant les car­ac­téris­tiques d’o­rig­ine du matéri­au. ” Les logi­ciels que nous util­isons ne sont pas adap­tés à ce type de com­porte­ment, même s’il est pos­si­ble de trou­ver des façons de les pren­dre en compte ” souligne Frédéric Mercier.

En matière d’amélio­ra­tion Frédéric Merci­er a aus­si quelques idées. Il exprime entre autre le souhait que les con­cep­teurs de logi­ciels conçoivent des inter­faces plus con­viviales et mod­ernes. ” Par exem­ple, elles pour­raient s’in­spir­er des inter­faces tac­tiles dévelop­pées par Apple ou pro­pos­er des out­ils hap­tiques ” sug­gère-t-il, n’hési­tant pas à rêver ” de sim­u­la­teurs numériques pour smart­phones et tablettes”. Plus sérieuse­ment, une autre piste d’amélio­ra­tion con­cerne le développe­ment des mod­èles afin de respecter le plus pré­cisé­ment pos­si­ble les lois physiques. Et même si la puis­sance des ordi­na­teurs s’est large­ment décu­plée, la réduc­tion des temps de cal­cul reste tou­jours d’actualité.

La simulation mécanique, à la base de la conception de nouveaux produits, de prévisions ou d’outil d’apprentissage, est aujourd’hui largement utilisée par l’industrie. Néanmoins, pour tous ces usages, les enjeux qu’ils recouvrent et les résultats attendus n’impliquent forcément les mêmes outils de simulation, ni les mêmes compétences pour ceux qui les mettent en œuvre.

Depuis le sty­lo à bille posé sur votre tablette à l’air­bus A380 dernier cri dans lequel vous voy­agez, la con­cep­tion indus­trielle débute imman­quable­ment par une étape de sim­u­la­tion du futur pro­duit sur un ordi­na­teur. L’in­dus­trie y trou­ve non seule­ment un moyen d’éla­bor­er de nou­veaux arte­facts plus rapi­de­ment et à moin­dres coûts en lim­i­tant le recours à des pro­to­types pour réalis­er des tests, mais aus­si de con­cevoir des pro­duits sus­cep­ti­bles de répon­dre au mieux à un cahi­er des charges de plus en plus contraint.

L’ob­jet est dess­iné, ses pro­priétés mécaniques mod­élisées, ain­si que l’en­vi­ron­nement et les con­traintes de son util­i­sa­tion. A par­tir de là ” il est pos­si­ble de tester de très nom­breuses pos­si­bil­ités afin d’op­ti­miser l’ob­jet en fonc­tion de son cahi­er des charges et de l’u­til­i­sa­tion atten­due ” explique Fran­cis­co Chines­ta, pro­fesseur à l’Ecole Cen­trale de Nantes spé­cial­isé dans la mécanique numérique.

Des attentes différentes selon l’objectif

Pour l’ingénieur, toute la dif­fi­culté con­siste à trou­ver le niveau de mod­éli­sa­tion adéquat afin d’aboutir dans un temps sat­is­faisant. ” Il est néces­saire d’adapter le mod­èle à l’ob­jec­tif ” souligne Fran­cis­co Chines­ta qui pré­cise que les con­traintes en terme de fia­bil­ité, de normes ou de risques ne sont pas les mêmes pour un sty­lo que pour un avion. Les dif­fi­cultés pour réalis­er la mod­éli­sa­tion, con­cevoir le proces­sus d’op­ti­mi­sa­tion et les temps de cal­cul dépen­dent des choix réal­isés au départ. Aujour­d’hui, cer­tains mod­èles sont si com­plex­es que mêmes des ordi­na­teurs puis­sants met­tent des mois à obtenir un résultat.

” Quoi qu’il arrive, ce tra­vail d’op­ti­mi­sa­tion ne peut pas aboutir à un résul­tat élim­i­nant tous les risques ” pré­cise Fran­cis­co Chines­ta, pour qui le tra­vail réal­isé doit être pro­por­tion­né à la com­plex­ité du sys­tème à mod­élis­er, aux enjeux et aux attentes. Par exem­ple, ” une erreur dans une prévi­sion météorologique à quelques jours reste accept­able car cha­cun sait le sys­tème très imprévis­i­ble ” explique le chercheur qui pré­cise que les enjeux et les attentes sont dif­férentes lorsqu’il est ques­tion de con­cevoir un avion ou d’éla­bor­er un sim­u­la­teur pour l’en­traîne­ment des chirurgiens.

Dans ce dernier cas, il n’est plus ques­tion de mod­élis­er la réal­ité mais de fournir au chirurgien une sen­sa­tion la plus proche pos­si­ble de la réal­ité. Les per­cep­tions tolérant une marge d’im­pré­ci­sion rel­a­tive­ment impor­tante, il n’est alors pas néces­saire de recourir à une mod­éli­sa­tion extrême­ment précise.

Des outils plus accessibles

Alors que les con­traintes sont de plus en plus fortes en matière de sécu­rité, impli­quant des mod­éli­sa­tions de plus en plus pré­cis­es, la ten­dance est à la démoc­ra­ti­sa­tion de ces équipements. L’u­til­i­sa­tion de mod­èles éprou­vés et de tech­niques d’op­ti­mi­sa­tion stan­dard­is­ées per­met à des util­isa­teurs de moins en mois com­pé­tents de tra­vailler avec ces outils.

” Aujour­d’hui, cer­taines sim­u­la­tions sont directe­ment réal­isées par des tech­ni­ciens spé­cial­isés sans faire appel à des ingénieurs ” explique Frédéric Merci­er, ingénieur de recherche chez Renault, spé­cial­isé en sim­u­la­tion numérique. Si les prob­lèmes les plus com­pliqués néces­si­tent encore des per­son­nels très qual­i­fiées et de puis­sants out­ils de cal­cul, Fran­cis­co Chines­ta imag­ine néan­moins que de petites appli­ca­tions devraient appa­raître, rel­a­tive­ment faciles à utilis­er et éventuelle­ment disponibles sur tablettes ou même smart-phones. L’ob­jec­tif con­siste véri­ta­ble­ment à banalis­er ces procédés de sim­u­la­tion pour les met­tre en œuvre de plus en plus rapi­de­ment et avec de moins en moins de moyens.

Pour les ingénieurs, il s’ag­it d’ap­pren­dre très tôt à tra­vailler sur des prob­lèmes con­crets posés par le monde indus­triel. Les exi­gences de qual­ité, de risques, ain­si que les normes les oblig­ent à pré­cis­er les deman­des et les enjeux et à prévoir un procédé de sim­u­la­tion adap­té. Il est alors de la respon­s­abil­ité des enseignants-chercheurs d’as­sur­er ce con­tact étroit avec les réal­ités du méti­er d’ingénieur et d’adapter l’en­seigne­ment aux prob­lé­ma­tiques réelles.

Selon Fran­cis­co Chines­ta ” l’UTC a su ori­en­ter son enseigne­ment dans ce sens, en s’ap­puyant sur les véri­ta­bles ques­tions posées par l’in­dus­trie “. Peut-être cette prise en compte de la réal­ité indus­trielle a‑t-elle con­sti­tué un moteur pour faire de l’UTC un des pio­nniers et leader français dans le domaine de la sim­u­la­tion mécanique ?

Puissance de calcul des ordinateurs et outils de simulation de plus en plus fiables ont permis le développement de logiciels d’optimisation. Le monde de l’entreprise fourmille de demandes plus ou moins spécialisées afin de réduire les délais de production, minimiser les coûts et améliorer la qualité des produits.

Silen­cieux, con­fort­able, léger, pro­pre, économe, rapi­de, pré­cis, sans dan­ger, esthé­tique… la liste de qual­ités atten­dues par un nou­veau pro­duit indus­triel est aujour­d’hui infin­i­ment plus longue qu’elle ne l’é­tait jadis. Et con­cili­er ces dernières afin de répon­dre aux normes et aux attentes des con­som­ma­teurs peut devenir un vrai casse-tête pour les concepteurs.

Un seul mot pour accom­plir cette tache, opti­miser ! Pour l’ingénieur con­ce­vant une voiture, il s’ag­it de max­imiser sa sécu­rité, de min­imiser ses coûts (de pro­duc­tion, de con­cep­tion, d’u­til­i­sa­tion…), de max­imiser son con­fort tout en réduisant sa con­som­ma­tion et… les don­nées du prob­lème appa­rais­sent comme une liste plus ou moins longue de con­traintes et d’ob­jec­tifs à satisfaire. ”

La prin­ci­pale dif­fi­culté con­siste à for­muler pré­cisé­ment le prob­lème d’op­ti­mi­sa­tion “, explique Hos­sein Shak­ourzadeh, Con­seiller sci­en­tifique chez Altair, société spé­cial­isée dans le développe­ment de logi­ciels de simulation.

Des logiciels pour la route ou le ciel

Par exem­ple, com­ment définir ce con­fort à max­imiser? Que faut-il pren­dre en compte dans le coût ? Autant de ques­tions pour lesquelles il n’ex­iste pas de répons­es sim­ples. Et des répons­es dépen­dent finale­ment les solu­tions qui seront retenues pour le nou­veau pro­duit. Afin d’aider les ingénieurs, les édi­teurs de logi­ciels pro­posent aujour­d’hui une gamme assez impor­tante d’outils d’optimisation.

” Il est néces­saire de trou­ver des solu­tions qui répon­dent à l’ensem­ble des clients, qu’ils con­stru­isent des avions ou des auto­mo­biles ” souligne Hos­sein Shak­ourzadeh. Bien sou­vent, des prob­lèmes pour­tant dif­férents se résol­vent avec les mêmes out­ils. Des logi­ciels sus­cep­ti­bles de répon­dre au plus grand nom­bre ont donc été dévelop­pés, paramé­tra­bles afin de répon­dre à un max­i­mum de situations.

Et des modules de plus en plus spécialisés

En plus de ces out­ils génériques paramé­tra­bles, aujour­d’hui réservés à des ingénieurs méth­odes ou des ingénieurs de recherche, de plus en plus de mod­ules spé­cial­isés sont dévelop­pés pour réalis­er des opti­mi­sa­tions dans des sit­u­a­tions très spé­ci­fiques. Par exem­ple, le mod­ule Squeak and Rat­tle Direc­tor d’Al­tair a pour fonc­tion de min­imiser les frot­te­ments et grince­ments de pièces d’équipements sus­cep­ti­bles de s’altér­er avec le temps. L’ex­em­ple type reste le tableau de bord des voitures, mais l’outil ne se lim­ite pas à ce cadre. ”

Ces logi­ciels répon­dent à une demande des indus­triels pour gag­n­er du temps lors de la con­cep­tion et de trans­fér­er cer­taines com­pé­tences à l’édi­teur de logi­ciel ” souligne Hos­sein Shak­ourzadeh. L’ingénieur en charge de con­cevoir un tableau de bord ne doit pas aus­si être spé­cial­iste des tech­niques d’op­ti­mi­sa­tions et peut ain­si se con­cen­tr­er sur son tra­vail. Si ces out­ils d’op­ti­mi­sa­tion com­men­cent à être util­isés par les indus­triels dans les années 1990, ils reposent avant tout sur l’amélio­ra­tion des mod­èles et des out­ils de sim­u­la­tion sur lesquels ils s’ap­puient. L’en­goue­ment répond pour une part à la volon­té des indus­triels de réduire les délais de con­cep­tion, la course économique les pous­sant con­stam­ment à renou­vel­er leurs offres avec de nou­veaux produits.

Un autre fac­teur impor­tant est l’aug­men­ta­tion con­sid­érable des normes et con­traintes que les pro­duits indus­triels doivent sat­is­faire. Le monde de l’op­ti­mi­sa­tion ne con­cerne pas unique­ment l’in­dus­trie mécanique mais touche aujour­d’hui presque tous les domaines. Par exem­ple, ” les out­ils d’op­ti­mi­sa­tion des coûts visant à min­imiser les coûts et max­imiser la qual­ité sont très util­isés ” souligne Hos­sein Shak­ourzadeh. Altair pro­pose même un logi­ciel afin d’aider les entre­pris­es à opti­miser leurs investisse­ments en équipements logi­ciels. A quand des out­ils d’op­ti­mi­sa­tion pour opti­miser l’u­til­i­sa­tion des out­ils d’optimisation ?

Les outils de simulation numérique ne concernent pas que la conception d’artefacts industriels. L’équipe du laboratoire d’hydraulique numérique hébergée à l’UTC les applique à des situations d’inondation ou de submersion par les eaux, ainsi qu’à d’autres sujets en relation avec les milieux aquatiques et la navigation.

Inon­da­tions ou sub­mer­sions marines, les pou­voirs publiques ont aus­si recours aux out­ils de sim­u­la­tions numériques afin d’aider à l’élab­o­ra­tion de poli­tiques publiques. Créé en 2003 et hébergé au lab­o­ra­toire Rober­val de l’UTC, le lab­o­ra­toire d’hy­draulique numérique (LHN) accueille trois chercheurs du Min­istère de l’é­colo­gie spé­cial­isés sur ces questions.

Ce groupe tra­vaille ensem­ble depuis 1991 et se focalise sur la ges­tion des risques liés à l’eau en lien notam­ment avec les besoins de la Direc­tion Générale de la Prévi­sion des Risques. Il s’in­téresse aus­si au trans­port flu­vial et mar­itime, à la récupéra­tion d’én­ergie à par­tir des courants et des vagues et aux con­séquences du change­ment cli­ma­tique en terme de remon­tée du niveau marin.

Des outils spécifiques

Alors que depuis la fin des années 1970 des out­ils numériques pro­pres aux prob­lé­ma­tiques de l’eau sont dévelop­pés à la Direc­tion Tech­nique Eau Mer et Fleuves du Cere­ma, Philippe Ser­gent, son actuel Directeur Sci­en­tifique, réalise ce tra­vail depuis la fin des années 1990 avec ses parte­naires du LHN. La chaîne de cal­cul REFLUX élaborée dans les années 1980 intè­gre un pre­mier étage d’or­gan­i­sa­tion des don­nées, un mod­ule de cal­cul, ain­si qu’un out­il de visu­al­i­sa­tion des résul­tats. ” REFLUX a été util­isée jusqu’en 2000, puis rem­placée pro­gres­sive­ment par la chaîne de cal­cul d’EDF, Telemac ” pré­cise Philippe Sergent.

Par­tic­u­lar­ité du domaine, les don­nées géo­graphiques sont très volu­mineuses et deman­dent de dévelop­per des out­ils capa­bles de les stock­er et de les traiter. La visu­al­i­sa­tion des résul­tats est aus­si une dif­fi­culté, ces derniers por­tant sur des mil­liers de km2. ” Les cal­culs sont très longs si on com­pare à ce qui est habituelle­ment réal­isé dans l’in­dus­trie mécanique ” souligne Philippe Sergent.

Une autre spé­ci­ficité du domaine con­cerne l’im­por­tante quan­tité d’in­con­nues com­parée aux sim­u­la­tions clas­sique­ment réal­isées par l’in­dus­trie. Par exem­ple, il est impos­si­ble de pren­dre en compte l’ef­fet de la sai­son sur la végé­ta­tion lorsqu’un ter­ri­toire est mod­élisé pour étudi­er un risque d’i­non­da­tion. La présence de haies dans les zones rési­den­tielles et la capac­ité d’in­fil­tra­tion des sols sont aus­si dif­fi­ciles à gérer.

Optimiser le déplacement des navires

Une autre nou­veauté con­siste à tra­vailler avec des struc­tures en trois dimen­sions pour mod­élis­er le déplace­ment des navires. Les sim­u­la­tions ser­vent à mieux com­pren­dre les résis­tances à l’a­vance­ment en milieu con­finé afin d’op­ti­miser la con­som­ma­tion des navires. Plus le fond est haut ou le cours d’eau étroit, plus la résis­tance et la con­som­ma­tion est importante.

En faisant vari­er la vitesse du navire en fonc­tion de ces paramètres, des gains de 5 à 10% sont atten­dus. Ces derniers sont sus­cep­ti­bles d’être encore améliorés en opti­misant la ges­tion des éclus­es. ” Pour ces sim­u­la­tions hydro­dy­namiques, les cal­culs peu­vent pren­dre jusqu’à un mois ” pré­cise Philippe Sergent.

Les approches pluridisciplinaires

D’autres développe­ments spé­ci­fiques con­cer­nent les analy­ses coûts/bénéfices afin d’op­ti­miser les démarch­es à entre­pren­dre en cas de risques d’i­non­da­tion ou de sub­mer­sion. Ces études deman­dent des com­pé­tences pluridis­ci­plinaires afin de pren­dre en compte les dimen­sions économiques, envi­ron­nemen­tales et socié­tales. Les grands enjeux actuels con­cer­nent les nou­velles éner­gies d’o­rig­ine hydraulique, ain­si que le climat.

De manière générale, la crois­sance bleue impli­quant l’ensem­ble des activ­ités liées à la mer (éner­gies, ressources minérales, ports off­shore, etc.) offre de très nom­breuses per­spec­tives de travaux au LHN. Un autre enjeu fort con­cerne la mon­tée du niveau des mers d’i­ci 50 ou 100 ans. Dans cette per­spec­tive, les pou­voirs publics ont besoin d’outils afin de les aider à redéfinir la meilleure stratégie à met­tre en œuvre afin de min­imiser les impacts du change­ment climatique.

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