Des banques de molécules pour découvrir des médicaments contre la leucémie
Et si on testait des millions de molécules générées aléatoirement pour trouver les rares candidats susceptibles d’interagir avec une protéine cible impliquée dans les leucémies ? L’approche originale testée par Bérangère Bihan-Avalle et son équipe a permis de déposer un brevet pour deux molécules potentiellement prometteuses dans la lutte contre la leucémie myéloïde chronique.
Dans la recherche médicale, le hasard fait parfois bien les choses. Si les cultures de bactéries de Sir Alexander Fleming ne s’étaient pas retrouvées contaminées par les expériences sur le champignon Penicillium notatum de son voisin de paillasse, il n’aurait sans doute pas découvert en 1928 le principal antibiotique, la pénicilline.
La sérendipité n’est cependant pas l’approche développée par Bérangère Bihan-Avalle, professeur responsable du thème Diversité moléculaire et biocatalyse, pour découvrir de nouvelles molécules contre la leucémie. Pourtant, l’aléatoire n’est pas absent.
” Notre équipe se spécialise dans l’utilisation de banques de molécules comportant des millions ou des milliards d’entités afin d’identifier celles susceptibles d’interagir avec une cible prédéfinie “, explique la chercheuse qui a récemment isolée deux candidats potentiels pour soigner la leucémie myéloïde chronique.
Une prolifération de cellules indifférenciées
La leucémie, ou plutôt les leucémies, sont des cancers des globules blancs qui diffèrent selon le type de cellules touchées. Ces dernières sont soit les cellules myéloïdes, soit les lymphocytes, toutes jouant un rôle central dans le système immunitaire.
Ces cellules sont l’objet de mutations génétiques ou de translocations chromosomiques (des morceaux d’ADN passant d’un chromosome à l’autre) entraînant l’expression inhabituellement élevée de protéines, comme la protéine STAT5, facteur de transcription et de signalisation cellulaire. En permanence activée, elle est responsable de la prolifération cellulaire à l’origine de la leucémie. Les cellules envahissent alors complètement la moelle osseuse puis le sang.
Multiplier les candidats potentiels
En partenariat avec le comité de l’Oise de la Ligue contre le cancer et le soutien de la Région Picardie, l’équipe de Bérangère Bihan-Avalle utilise des banques d’oligonucléotides, (petits brins d’ADN), afin de découvrir lesquels sont susceptibles d’agir sur les cellules cancéreuses.
In vitro, les chercheurs ont testé des millions de candidats afin d’isoler ceux susceptibles d’interagir avec la fameuse protéine STAT5. ” L’objectif consiste à utiliser une banques d’oligonucléotides synthétisés aléatoirement pour espérer trouver des candidats capables d’inhiber ou d’inactiver la protéine STAT5 ” explique Bérangère Bihan-Avalle. Deux molécules ont ainsi été identifiées et des tests réalisés afin de vérifier leur efficacité sur la prolifération de cellules leucémiques.
Éviter les a priori
” Cette méthode a l’avantage de débuter le travail sans aucun a priori sur les molécules recherchées ” souligne Bérangère Bihan-Avalle qui espère ainsi découvrir de nouvelles substances innovantes. Une démarche très différente de celle utilisée par l’industrie pharmaceutique qui s’inspire d’une molécule déjà connue afin d’en dériver une variante plus efficace ou mieux adaptée à un cas particulier.
L’utilisation de banques permet de trouver des substances nouvelles difficiles à concevoir par une approche rationnelle. Les médicaments actuels pour lutter contre les leucémies restent malheureusement d’une efficacité limitée, les taux de guérison variant de 80% à 30% selon le type de leucémie. Actuellement, aucun médicament ne cible la protéine STAT5.
Agir au cœur de la cellule
Alors que deux molécules ont fait l’objet d’un dépôt de brevet par l’UTC, le travail actuel vise à comprendre les mécanismes d’action de ces molécules à l’intérieur de la cellule. ” Une difficulté consiste à concevoir une molécule active capable de pénétrer la membrane sans altérer ses propriétés d’actions sur la protéine cible ” explique Bérangère Bihan-Avalle en soulignant que la recherche ne fait que débuter.
A terme, il est envisageable de tester les molécules candidates sur des tumeurs humaines chez l’animal, dans le cadre d’éventuels partenariats avec des laboratoires pharmaceutiques. Pour l’instant, la recherche est encore en phase préliminaire avec une perspective de développement d’une dizaine d’années. ” Il est nécessaire de prendre le temps de bien caractériser les molécules candidates et de publier les résultats avant d’envisager un partenariat avec un laboratoire privé ” conclut Bérangère Bihan-Avalle qui juge qu’à ce stade, une pression industrielle risque de s’avérer contreproductive.
Les recherches sur ces oligonucléotides susceptibles d’agir sur des protéines cibles étant récentes, les laboratoires pharmaceutiques se montrent relativement frileux sur la question. Aujourd’hui seule une molécule de ce type a fait l’objet d’un médicament.