La révolution numérique et l’emploi

Suite au séminaire sur le thème des « Big data et emploi : principaux enjeux et conséquences en matière d’emploi » qui s’est tenu du 18 au 22 janvier 2016 à l’UTC, Yann Moulier Boutang, professeur de sciences économiques à l’UTC et membre du CRI-Costech, nous propose une synthèse sur le numérique et l’emploi.
Tout a été dit sur la mondialisation commencée en fait dès les années 1965. La restructuration productive s’est opérée sur la planète selon la chaîne globale de la valeur : le poids des immatériels (la conception, le design, l’organisation logistique, le poids des réseaux fournisseurs, clients, et la marque) est devenu déterminant et a relégué la fabrication proprement dite au second plan. Du même coup la délocalisation de la phase fabrication des produits a été grandement facilitée. Le plein emploi s’est effondré dans les économies au centre tandis que le poids de l’industrie stricto sensu dans le PIB est tombé à 11% aux Etats-Unis. L’introduction des ordinateurs partout dans les entreprises, dans les services, dans la vie personnelle a tardé à produire des effets positifs; et quand cela s’est produit à partir des années 2000 c’est son effet négatif sur les emplois industriels (lean production) de service et de logistique qui a joué.
Mais à peine commençait-on à sortir du long tunnel de ce premier chômage technologique avec une floraison de start up, d’applications sur les téléphones intelligents, de FabLabs que la crise financière de 2008 et l’apparition d’une deuxième vague numérique soumet les appareils productifs à rude épreuve.
Cette seconde vague numérique tient en trois mots: la conjugaison d’une interconnexion généralisée, au Big Data produit par le Web 2.0 (Web Interactif) couplée aux machines apprenantes (Learning Machines). Le travail complexe est largement concurrencé par des algorithmes mimant les comportements intelligents humains.
C’est à l’exploration de ce phénomène à la production toute entière de la société que le séminaire inter-semestriel était consacré cette année à l’UTC. Pour ce faire nous avons pu bénéficier de l’apport précieux d’experts qui cherchent à regarder le problème en face dans toute son ampleur. Nous avons pu bénéficier en cadrage général de la réflexion de Bernard Stiegler auteur de la Société Automatique, de celles de Bruno Teboul (Keyrus Paris Dauphine), d’Ariel Kyrou (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines SACIM Sciences, Art, Culture, Innovations, Multimédia), de François Nemo (Consultant # Branding) autour de l’ubérisation de l’emploi et des conditions d’une stratégie des entreprises à la hauteur de l’enjeu numérique. Le séminaire correspondait aussi à la remise à la nouvelle Ministre du Travail et de l’Emploi, Myriam El Khomri par le Conseil National du Numérique (CNNum) d’un rapport Travail, Emploi, Numérique, Les nouvelles trajectoires. Nathalie Andrieux, longtemps responsable de numérique chez Orange et membre du CNNum, responsable du rapport, ainsi que Judith Herzog, Mathilde Bras et François Levin, chargés de mission à ce même Conseil sont venus présenter les vingt propositions du rapport. Sophie Pène, membre elle aussi du CNNum (CRI, Paris I), auteur du rapport Jules Ferry 3.0, Bâtir une école créative et juste dans un monde numérique, a soulevé les questions de transformation du système éducatif. Elle doit également présenter prochainement ses propositions pour l’enseignement supérieur et la recherche dont elle nous a fait bénéficier. Pierre Pezziardi, animateur de la filière des start up d’Etat au Secrétariat Général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) est venu expliquer quelle utilisation du Big Data permettait d’améliorer le placement des demandeurs d’emploi sur le marché du travail (La Bonne Boîte). Dans l’après-midi, Grégoire Bignier (école d’Architecture et des Paysages de Versailles) a présenté les questions soulevées par le biomimétisme en architecture, Pascal Jollivet de l’UTC a passé au crible le contour exact des emplois de l’industrie verte, alors que Jean-Pascal Foucault présentait l’intérêt des capteurs de tag humains et non pas simplement physiques dans l’utilisation du Big Data en vue d’une ville intelligente. Franck Ghitalla et moi-même avons présenté une étude en cours avec Entreprise et Personnel sur l’exploration du Web (dont le web social) pour détecter des tendances émergentes et écrire des scénarios d’évolution à dix ans de questions stratégiques posées par les entreprises. Enfin, Philippe Lemoine, président de la Fondation Internet Nouvelle Génération, auteur du rapport La nouvelle grammaire du succès, La transformation numérique de l’économie française a animé la réflexion finale du séminaire.
Le contenu très riche de ce séminaire fera l’objet de trois rendus : un relevé de propositions, des enregistrements audio-visuels et une synthèse écrite.
Vidéos et compte-rendu : https://webtv.utc.fr
Rapport Les nouvelles trajectoires
http://www.cnnumerique.fr/wp-content/uploads/2015/12/Rapport-travail-version-finale-janv2016.pdf