3 questions à… Michel Derdevet

Michel Derdevet, ancien secrétaire général, membre du directoire d’Enedis. Vice-président de la maison de l’Europe de Paris, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris et professeur au collège d’Europe de Bruges.
Quelles sont, selon vous, les priorités en matière de développement durable ?
Jusqu’à ces dernières semaines, je vous aurais dit limiter les émissions de CO2 et organiser ardemment une transition énergétique réussie vers des énergies décarbonées. Mais la crise sanitaire que la planète traverse depuis fin 2019 nous oblige à élargir notre champ de vision, et à interpeller toutes les théories de la croissance passées,qu’elles soient de l’offre ou de la demande. Le paradigme de l’hégémonie du PIB comme indice de progrès, et d’une énergie toujours là pour l’alimenter, vole en éclat. “Consommer plus et vivre mal, gagner plus et vivre moins bien, voilà à quoi se réduit pour finir la productivité poussée jusqu’à l’absurde que prône le modèle capitaliste”, observait déjà en 2009 André Gorz dans Vers la société libérée. On voit bien que demain c’est une certaine vision de la planète qui devra être repensée, et que d’autres indicateurs, en lien avec la définition même du développement durable,devront être mis en place, basés sur le bien-être des citoyens, le respect de l’harmonie naturelle,l’assurance des services essentiels et le développement des biens communs.
Comment concilier transition énergétique et développement durable ?
Le paradoxe, on l’oublie, de cette année est que le pétrole a atteint ces derniers jours des prix plancher historiques, en dessous des 30 $ le baril (-55 %depuis début 2020), n’encourageant vraiment pas le mouvement évoqué précédemment vers des énergies décarbonées, en même temps que les “quarantaines” généralisées et l’effondrement de l’activité mondiale lié au coronavirus nous montrent partout dans le monde des villes moins polluées et des eaux plus claires. Tout cela n’est en partie à mes yeux qu’illusion ; il faudra demain rebâtir l’économie mondiale sur des fondamentaux renouvelés, et ne pas repartir sur le mythe de la croissance à tout prix,qui nous mène droit dans le mur. Déjà en 1972, dans son célèbre rapport, Meadows soulignant “les limites de la croissance”, le Club de Rome nous invitait à la réflexion sur ces sujets. Mais le chantier reste devant nous, qui devra obligatoirement combiner dans les prochaines décennies l’écologie, l’économie, le social et la politique.
Justement, quels acteurs principaux doivent selon vous être à la manoeuvre sur ces questions ? Les ingénieurs, les chercheurs, les startupers ont-ils un rôle particulier à jouer ?
Oui, bien sûr, tous ceux que vous venez de citer devront être sur le pont ; mais n’oubliez pas aussi, au premier rang, les citoyens, qui auront plus que jamais droit de citer et d’interpeller les choix passés. Dans tout choc majeur — et les grands conflits mondiaux l’ont montré — il y a un rebond politique et un “monde nouveau” qui se réinvente. Le projet européen, et sa générosité, serait-il né sans les deux grandes guerres ? Plus que jamais, nous devrons raisonner demain en utilisant l’indice de développement humain, basé sur trois composantes : le niveau de vie, mais aussi la santé et l’éducation.Cela supposera au plan mondial encore plus de solidarités entre les États, à l’inverse du réflexe de fermeture, compréhensible en temps de crise, et aussi la redécouverte du beau mot de fraternité, qui participe du triptyque républicain, et qui doit être au coeur des espoirs de demain.