Un homme de liens
Lancé en 1977, CILAMCE (Congrès Ibéro Latino-Américain des Méthodes Numériques de l’Ingénierie) s’est tenu pour la première fois, les 12,13 et 14 novembre à Compiègne et Paris, en France. Maître d’œuvre de ces journées ? Le professeur Adnan Ibrahimbegovic, titulaire de la chaire de mécanique numérique à l’UTC et membre senior de l’Institut Universitaire de France depuis 2015.
Est-ce parce qu’il est d’origine bosniaque – il est natif de l’ex. Yougoslavie – qu’il voit les risques du repli ? Toujours est-il qu’Adnan Ibrahimbegovic ne jure que par « l’ouverture de la science ». C’est un homme de liens : liens entre différentes disciplines, liens entre laboratoires, liens tissés avec des scientifiques de par le monde…
Les liens entre différentes disciplines ? Recruté par l’UTC pour occuper la chaire de mécanique numérique, Adnan Ibrahimbegovic s’intéresse très vite aux problèmes qui se situent aux interfaces des disciplines traditionnelles. « Et qui dit interface, dit nécessité de faire dialoguer différentes spécialités. En un mot introduire et faire vivre de l’interdisciplinarité, seule à même de permettre d’aller le plus loin possible dans la résolution des problèmes complexes », souligne-t-il.
Ce besoin d’interdisciplinarité est évident dans le cas d’un projet en cours au laboratoire Roberval de l’UTC : déterminer si une mégastructure en CFRP (Carbon Fiber Reinforced Polymere) soumise à des contraintes extrêmes tiendrait le choc. « Avec deux applications industrielles à terme : les éoliennes offshore géantes munies de pales flexibles de 100 m – qui produiront 10 MW – le double des installations actuelles en Europe — et les avions gros porteurs du futur », précise Adnan Ibrahimbegovic. Toutefois, des contraintes importantes existent. « Fabriquer les éoliennes dans un matériau léger en augmenterait la puissance à condition qu’elles puissent résister à des tempêtes majeures. Idem pour les ailes du gros porteur du futur qui seraient soumises à de très violents efforts aérodynamiques », ajoute-t-il.
Comment essayer de comprendre et résoudre ces problèmes alors qu’aucun banc d’essais au monde ne permet de reproduire de telles contraintes sur des structures de cette taille ? Là encore, ce sont les liens de coopération scientifique entre labos de différentes spécialités qui interviennent. à l’UTC dans le cadre du Labex MS2T, et à l’international avec le laboratoire de calcul scientifique du professeur Mathies Hermann, à l’université de Braunschweig (Allemagne).
« Le laboratoire mécanique, acoustique et matériaux (Roberval) est équipé pour produire et tester des éprouvettes en CFRP (des pièces de quelques centimètres). L’équipe va d’abord mesurer la résistance de ces modèles réduits, et surtout sa variabilité. Les résultats obtenus sont ensuite analysés au laboratoire de mathématiques appliquées et projetés sur une structure XXL », détaille Adnan Ibrahimbegovic. « En effet, le mode de rupture de deux pièces réalisées dans le même matériau diffère selon leur taille. Pour quantifier cet effet d’échelle, nous allons faire appel à de nouvelles méthodes probabilistes permettant de montrer le processus d’amplification des risques de rupture sur un élément de 100 m de long », affirme-t-il.
Faire de l’interdisciplinaire exige, selon lui, de « casser » les codes de chaque domaine de recherche spécifique pour explorer de nouveaux champs qui se situent « à la frontière de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. Cela demande certes des ingénieurs mais aussi des docteurs. Or, on n’en forme pas assez à l’UTC ». La solution ? « Elargir le recrutement des étudiants, notamment à l’international », juge Adnan Ibrahimbegovic.