Les enjeux environnementaux et l’industrie
Directeur du laboratoire Roberval depuis 2015, Jérôme Favergeon détaille les projets de recherche en lien avec les enjeux environnementaux.
80% des activités du laboratoire Roberval se font avec des industriels avec lesquels les liens sont très anciens. « Au sein du laboratoire, on a ainsi une thématique historique qui est la mécanique. Nous travaillons depuis plus de 20 ans dans l’objectif d’alléger les structures, notamment dans les équipements du transport, aéronautique et secteur automobile essentiellement. Un allégement qui ne nuit en rien à la sécurité mais qui se traduit par une diminution de la consommation en carburant pour une même distance et donc par une baisse des rejets de CO2. Ce qui est bon pour l’environnement, même si, historiquement, ce n’est pas la baisse de CO2 qui animait les industriels mais la réduction des coûts en carburant, ce qui était très incitatif pour les consommateurs. Bien entendu, les choses ont changé depuis et l’enjeu environnemental est devenu crucial pour les entreprises », assure Jérôme Favergeon.
Fusemétal
Un savoir-faire reconnu. Pour preuve ? La création de Fusemétal, un laboratoire commun créé avec ArcelorMittal. Parmi les axes de recherche de Fusemétal ? « On a deux axes de recherche principaux. Le premier porte sur les techniques de fabrication additive qui sont considérées comme des technologies de premier ordre pour réduire l’empreinte écologique des processus de fabrication. Le second concerne l’assemblage de tôles à haute limite d’élasticité. Depuis de nombreuses années, ArcelorMittal développe, pour le secteur automobile essentiellement, des tôles destinées à la structure des véhicules et dotées d’une grande performance mécanique. Une performance qui permet d’amincir les différents éléments. En revanche, ces aciers de nouvelle génération sont plus compliqués à assembler. En effet, si on veut optimiser les masses, on a besoin de pouvoir assembler des aciers différents les uns des autres, de mettre le bon acier au bon endroit, etc. Ce qui, aujourd’hui, constitue une forme de noeud technologique en matière d’applications, un noeud technologique à résoudre et auquel nous apportons un éclairage académique à travers ce laboratoire commun. À noter également que ces aciers sont issus de filières de recyclage », explique Jérôme Favergeon.
Recyclage des matériaux composites
Si la collaboration avec ArcelorMittal est ancienne, elle l’est tout autant avec Safran dans le secteur aéronautique. « Les travaux menés au sein de Roberval avec Safran concernent essentiellement les matériaux composites qui, par leur performance, peuvent se substituer à certains alliages métalliques, d’alléger là encore les structures et de réduire la consommation de kérosène. Ce qui est bon pour l’environnement. Cependant, un enjeu de taille est celui de leur recyclage puisque le matériau en tant que tel est mélangé à la structure que l’on fabrique. On devrait de ce fait sortir des modes de recyclage traditionnels, celui des alliages métalliques par exemple. Ce qui devrait faire l’objet de projets futurs », estime Jérôme Favergeon.
Parmi les autres axes de recherche, au-delà des projets menés en collaboration avec des industriels en mécanique ?
Détection du frelon asiatique
« Nous avons quelques projets assez atypiques notamment dans l’équipe Acoustique et vibrations. L’équipe travaille sur le développement d’antennes acoustiques qui permettraient de reconnaître les frelons asiatiques. Un frelon qui, comme son nom l’indique, vient d’ailleurs et nuit aux écosystèmes locaux, notamment aux abeilles. L’idée sur le plan technologique consiste à implanter ces systèmes d’écoute sur des drones afin de détecter plus facilement les frelons, éventuellement suivre leur mouvement afin de retrouver leurs nids et pouvoir ainsi les détruire », dit-il.
Les projets en cours n’empêchent pas les équipes de recherche de Roberval de se projeter dans l’avenir. Elles travaillent sur leurs feuilles de route et s’intéressent notamment à deux grands axes : la réutilisation des matériaux et l’écoconception.
Réutilisation des matériaux
« L’idée est de se demander si on ne pourrait, par exemple pour un système en fin de vie, le reprendre ou en reprendre des parties afin de lui donner une seconde vie sans passer par des processus de recyclage, forcément consommateurs d’énergie. Réutiliser une pièce existante est d’un point de vue énergétique plus intéressant. Une réutilisation qui, surtout dans nos activités relevant essentiellement de la mécanique, exige un haut degré de sécurité des systèmes que l’on conçoit. Il faut donc développer des méthodes permettant de requalifier avec confiance les pièces, sans pour autant les détruire », explique Jérôme Favergeon. Un projet soutenu par l’UTC avec la création d’une chaire de professeur junior mais aussi par le ministère de l’Enseignement supérieur qui a accordé le poste.
L’écoconception
Dans ce domaine, on assiste à un développement des notions, des compétences, des savoirs mais aussi des outils. Toutefois ces derniers restent incomplets. « Aujourd’hui, on peut certes trouver des logiciels d’aide à l’écoconception des produits mais ils intègrent essentiellement des problématiques relevant de l’amont du produit – quels matériaux, des minerais ou des matériaux de recyclage, quel type d’assemblage ? – mais aussi en aval – recyclage ou pas, revalorisation ou pas – chaque étape ayant un impact CO2. Je peux de ce fait calculer le bilan carbone du produit fini en additionnant le bilan de chaque étape. Cependant, ils ont une limite : ils ne s’intéressent pas à ce qui se passe entre deux, c’est à- dire à la durée de vie du produit. Or, nous pensons que l’impact réel d’un produit, ce n’est pas seulement sa conception, sa fabrication et son recyclage, mais aussi ce qui se passe pendant toute la période d’utilisation. Prenons deux produits avec les mêmes fonctions mais avec un bilan carbone différent. Si celui qui, en amont et en aval, a un impact plus fort mais qu’il dure 30 ans, alors que l’autre dure 10 ans, lequel choisir ? Or, aujourd’hui, on ne sait pas effectuer cette évaluation globale avec les outils existants. Développer de nouveaux outils permettant d’intégrer tout le cycle de vie dès la conception constitue ainsi un enjeu majeur notamment pour les industriels », conclut-il.