49 : Gaz : la France autonome en 2050 ?
Une étude de l’ADEME en partenariat avec GRDF et GRTGaz, publiée en 2018, démontre la faisabilité d’un « mix gazier 100 % renouvelable en 2050 » en mobilisant les principales filières de production. Un objectif ambitieux mais réalisable. Avec des enjeux majeurs : indépendance vis-à-vis du gaz fossile, développement durable, retombées économiques sur les territoires…
D’abord l’indépendance vis-à-vis du gaz fossile. Selon les derniers chiffres disponibles, la facture énergétique de la France s’élevait, en 2018, à 47 milliards d’euros, dont 10,3 milliards pour les importations de gaz. C’est dire l’importance que revêtirait une plus grande autonomie vis-à-vis du gaz fossile importé. D’une part, la France qui est, avec 16, 3 %, à la traîne concernant la part des énergies renouvelables (Enr) dans son mix énergétique — les Enr atteignaient, fin 2015, plus de 19,3 % de la capacité énergétique mondiale -, tient là une occasion en or pour en accroître la part. D’autre part, elle éviterait les aléas géopolitiques pour son approvisionnement.
Dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, l’accord de Paris vise à renforcer la riposte mondiale face à la menace des changements climatiques. Une urgence climatique face à laquelle l’accord de Paris préconise de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5°C. Or, un mix gaz 100 % renouvelable permettrait de diviser par quatre les émissions directes. Soit, selon un scénario de l’ADEME, 63 Mt CO2/an environ.
Un scénario ambitieux mais réalisable affirment les industriels du gaz. Comment ? En produisant du biogaz par méthanisation des déchets organiques, technologie que l’on peut considérer actuellement comme mûre. Se pose toutefois dans ce cas précis la question de l’acceptabilité. En effet, de nombreuses voix s’élèvent contre l’épandage de digestat, source de nuisances olfactives, et présenté jusqu’ici comme ” un fertilisant vert, peu odorant, en substitution aux engrais chimiques “. D’autres pointent, notamment, du doigt les risques de fuites, soulignant que le potentiel de réchauffement du méthane est 25 fois plus puissant que celui du dioxyde de carbone. Viennent ensuite la gazéification de biomasse sèche et le power-to-gas, qui permet de produire du gaz de synthèse à partir du captage de CO2 industriel et d’hydrogène vert produit à partir d’électricité renouvelable non consommée. Deux technologies en phase de développement et qui devraient monter en puissance d’ici 2050.
En effet, le gisement théorique de ressources primaires mobilisables est immense ; son potentiel l’est tout autant. Il serait, selon la même étude, au total de 620 TWh dont 390 TWh provenant de la biomasse (bois et ses dérivés, sous-produits agricoles, biodéchets, algues), 205 TWh de l’électricité et enfin 25 TWh des énergies de récupération (combustibles solides de récupération, hydrogène fatal…). En outre, il n’entre en concurrence ni avec les usages ” matières premières ” (agriculture, forêt, industrie du bois et biomatériaux) ni les usages alimentaires.En prenant en compte les rendements de conversion, ce potentiel de ressources théorique pourrait produire jusqu’à 460 TWh de gaz renouvelable injectable dans le réseau dont 30 % proviendrait de la filière de méthanisation (jusqu’à 140 TWh) , 40 % de la filière de pyrogazéification (jusqu’à 180 TWh) et 30 % grâce au power-to-gas (140 TWh) dans le contexte d’un mix électrique 100 % renouvelable, souligne l’étude. La demande qui, de son côté devrait passer de 436,5 TWh en 2015 à 293 TWh en 2050 grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique, serait ainsi largement satisfaite. Pour un coût global du gaz renouvelable estimé entre 105 et 153 € du MWh. Des coûts compétitifs, selon l’ADEME, qui estime un prix de 86 € du MWh en 2050 pour le gaz naturel en tenant compte d’une taxe carbone à 200 € la tonne de CO2. En résumé : autonomie en gaz, une ressource renouvelable, des émissions de gaz divisées par quatre…
Enfin, des retombées industrielles et économiques significatives pour le pays et les territoires. Le développement massif de gaz renouvelable aurait un impact positif non seulement en terme de balance commerciale — le déficit lié aux importations d’énergie pourrait être réduit, selon l’ADEME, de 60 % en 2035 et 85 % en 2050 — mais aussi sur l’ensemble de l’économie française. En effet, par nature les énergies renouvelables en général bénéficient d’un fort ancrage territorial puisqu’elles permettent de valoriser des ressources énergétiques locales non délocalisables. D’ores et déjà, plusieurs collectivités territoriales s’en emparent pour en faire un pilier majeur de leurs actions en faveur du développement économique et de l’aménagement des territoires. Avec des retombées significatives en termes de développement industriel, d’innovation, d’emploi…
Dans un scénario dédié au biogaz, l’ADEME démontre la possible indépendance de l’Hexagone, vis-à-vis du gaz fossile importé, à horizon 2050. Dans ses scénarios, le biogaz, issu des agroressources, constituerait à terme 30 % de la production de gaz renouvelable.
« Les gisements en agroressources sont, en France, conséquents et différents selon les territoires. Avec une spécificité toutefois : ils sont principalement constitués de ressources agricoles dont certaines peuvent présenter un taux de matière sèche élevé », explique André Pauss, enseignant-chercheur à l’UTC. Or à ce jour, 89 % du parc de méthaniseurs en France fonctionnent grâce au procédé dit de « voie humide », traitant par exemple des boues de station d’épuration ou du lisier bovin, une ressource de près de 20 millions de mètres cubes par an. « D’où l’enjeu majeur que constitue l’industrialisation des procédés par voie solide », ajoute-t-il. En effet, les ressources disponibles sont importantes, par exemple 89 millions de tonnes de fumiers bovins par an.
L’accélération des recherches en atteste, notamment à l’UTC et à UniLaSalle qui ont constitué Solimétha, un groupement d’intérêt scientifique dédié à la méthanisation de sous-produits d’origine agricole et agro-industrielle en voie solide. D’autant que les objectifs inscrits dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la loi de transition énergétique (LTE) sont, concernant le biométhane, ambitieux : passer de 1,7 TWh en 2018 à 8 TWh en 2023, soit multiplier par près de cinq la production actuelle en 5 ans et augmenter le nombre de méthaniseurs avec 1 500 installations en 2023 contre 574 fin 2018. Objectifs qui servent autant l’indépendance énergétique vis-à-vis du gaz fossile que le développement durable, par l’utilisation d’une ressource elle-même renouvelable, et l’environnement. En effet, la non émission de biogaz dans l’atmosphère et sa valorisation énergétique induirait ” une réduction des gaz à effet de serre de 3 % par an, soit une division par 4 en 2050 », affirme André Pauss. « La valorisation des digestats en tant qu’amendements organique pour l’agriculture, participe également de cette démarche de développement durable entraînant une forme de cercle vertueux », précise Maurice Nonus, ingénieur de recherche à l’UTC.
Les chercheurs du GIS Solimétha ne s’interdisent pourtant pas de travailler en méthanisation en voie liquide, par exemple dans le projet Algues 4 Biométhane. Ce projet, porté par UniLaSalle, l’UTC et GRTgaz, et impliquant cinq autres partenaires, vise « la mise au point d’un procédé de co-digestion de fumier bovin et de micro-algues cultivées dans des photobioréacteurs afin d’améliorer la productivité en méthane », souligne de son côté Thierry Ribeiro, enseignant-chercheur à UniLaSalle. « Là encore, l’on est dans un cercle vertueux. Les micro-algues ont besoin d’eau, de lumière et de CO2. Or, la transformation biologique de la matière organique produit, notamment du méthane et du CO2. Le méthane sera injecté dans le réseau alors que le CO2 sera recyclé pour produire de nouvelles algues », ajoute André Pauss. Une voie prometteuse permettant, selon lui, d’envisager une production à grande échelle. Et de conclure : « les applications sont nombreuses. On peut citer, à titre d’exemple, les transports en communs fonctionnant au biogaz par exemple. C’est notamment le cas de certaines lignes de bus à Paris. »
Le projet Valodim, lancé en 2014, vise à répondre aux besoins des agriculteurs afin de valoriser leurs digestats de méthanisation en fertilisants adaptés de ce fait aux contextes culturels locaux, compétitifs et s’inscrivant dans une logique de développement durable, d’agriculture de précision et d’indépendance vis-à-vis du gaz importé.
En effet, dans un scénario dédié au biogaz, l’ADEME démontre la possible indépendance énergétique de l’Hexagone à horizon 2050. A condition de développer toutes les filières des bioénergies d’ici à la moitié du siècle. Filières qui produisent, à côté du biogaz (méthane), du digestat pouvant être valorisé à son tour. Ce qui pourrait constituer, pour l’agriculture et les agriculteurs, un tournant majeur mais qui nécessite des investissements conséquents. La première devrait ainsi sortir du tout « chimique » et entrer dans une approche plus durable de gestion des cultures et des sols. Les seconds profiteraient, notamment, d’impacts économiques non négligeables : avec d’une part une baisse du coût des intrants et, d’autre part des revenus complémentaires issus de la production de méthane. « Tous les agriculteurs ne sont pas encore armés pour des investissements, nécessitant parfois dix ans d’amortissement. Sur les installations en fonctionnement, par exemple, on parlait jusqu’ici d’1/3 de réussite, 1/3 à l’équilibre et 1/3 d’échecs. Toutefois, le retour d’expérience montre que tant la productivité que la rentabilité des installations s’améliorent », souligne Maurice Nonus, ingénieur de recherche et porteur du projet Valodim pour l’UTC. Et de comparer la France, premier pays agricole dans l’UE, à l’Allemagne : 390 méthaniseurs agricoles dans le premier contre plus de dix mille dans le second. C’est dire la marge de progression dont dispose notre pays.
« La méthanisation est un processus naturel qu’on utilise pour valoriser les matières organiques résiduelles. Ce qui débouche sur de la production de méthane mais aussi de digestats. D’où l’enjeu majeur de la valorisation de ces derniers, c’est-à-dire recycler les éléments azotés, phosphorés et carbonés, les restituer aux sols, afin d’entrer dans une sorte de cercle vertueux d’économie circulaire où presque rien ne se perd et presque tout se transforme », explique-t-il. « L’objectif ultime du projet Valodim étant de produire des engrais organo-minéraux qui soient directement utilisables par les agriculteurs avec leurs équipements actuels », ajoute-t-il.
Un enjeu qui n’a pas échappé aux initiateurs du consortium Valodim qui regroupe une PME, quatre ETI (Entreprise de Taille Intermédiaire), une GE (Grande Entreprise) et trois laboratoires: TIMR de l’UTC, l’INSA (Toulouse) et l’IRSTEA (Rennes). Un enjeu qui n’a pas échappé aux pouvoirs publics non plus. Signe de leur intérêt ? Les 4,5 millions d’euros accordés au projet par la Banque Publique d’Investissement (BPI), dans le cadre des investissements d’avenir ou encore des projets structurants des pôles de compétitivité (PSPC).
Alors que 89 % du parc de méthaniseurs en France fonctionne, actuellement, grâce au procédé dit de voie humide, essentiellement du lisier, une partie des substrats organiques du pays est caractérisée par un fort taux de matière solide. D’où l’enjeu majeur que constituent les recherches sur la voie solide. Trois thèses, co-dirigées par André Pauss et Thierry Ribeiro, enseignants-chercheurs respectivement à l’UTC et UniLaSalle, y sont consacrées.
La première, menée par Maël Mercier-Huat, porte sur la digestion de sous-produits de mytiliculture en voie solide, ou comment valoriser les moules de bouchots au calibre trop petit (< 12 mm d’épaisseur) ou cassées et donc impropres à la commercialisation. Ce qui concerne, selon les cas, entre 25 et 40 % de la production. À ce jour, ces sous-produits et coproduits sont rejetés en mer dans des zones de largage définies. Une évolution prévisible de la législation dans un sens plus restrictif oblige la filière conchylicole à anticiper afin de trouver de nouvelles solutions.
La deuxième, par Manuel Alejandro Hernandez Shek, concerne l’identification des conditions optimales d’opération d’un procédé de méthanisation de sous-produits agricoles par voie solide, en continu et en couloir.
Les installations actuelles de méthanisation, essentiellement par voie humide, s’adressent à des substrats liquides ou en suspension. Cependant, une grande part des substrats organiques sont à fort taux de matière sèche. Développer des procédés en voie solide fiables et rentables constitue, de ce fait, un enjeu majeur pour la filière de la méthanisation. Ce qui n’a pas échappé aux trois partenaires impliqués dans cette recherche : UniLaSalle, l’UTC et un industriel, Easymétha, qui a développé et breveté une innovation sur un réacteur en voie solide en couloir alimenté en continu pour la valorisation notamment des fumiers, dont il existe un prototype industriel à Talmas (80).
Ces deux thèses Cifre sont financées par l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) et respectivement par CultiMer France pour la première et Easymétha pour la deuxième.
Enfin, la dernière thèse, par Arnaud Coutu, financée par le FEDER et le programme Mocopée, est intitulée : « approche systématique par modélisation et expérimentation des paramètres d’optimisation de la méthanisation en voie solide ».
L’objectif de ce travail ? Proposer un outil pratique d’optimisation multi-facteurs prenant en compte les compositions du substrat, ainsi qu’étudier la modélisation hydrodynamique des écoulements de l’inoculum au sein du massif solide et de l’intégrer dans un modèle complet pour la méthanisation. Cette étude, effectuée sur les substrats territoriaux des Hauts-de-France, serait transposable à d’autres substrats, spécifiques à d’autres territoires, grâce à un outil accessible.
10 % de gaz renouvelable dans la consommation de gaz et moins 40% d’émissions de gaz à effet de serre : tels sont les objectifs inscrits dans le code de l’énergie avec la perspective de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en-dessous de 2°C et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5°C. Or, selon un scénario de l’ADEME, un mix gaz 100 % renouvelable permettrait d’éviter les émissions directes d’environ 63 Mt de CO2 par an.
Tant pour l’ADEME que GRDF et GRTgaz, cet objectif est tout-à-fait réalisable. A condition de passer à l’industrialisation des procédés, particulièrement, des trois grandes filières de production de gaz renouvelable que sont : la méthanisation, la pyrogazéification et le power-to-gas. D’autant que ces filières ne manquent pas de ressources disponibles dans le pays. Autre particularité de la France : concernant la méthanisation, les gisements utilisés n’entrent pas en concurrence avec les usages alimentaires, comme la méthanisation du maïs en Allemagne.
La méthanisation
Il s’agit de la transformation biologique de la matière organique en biogaz (méthane et gaz carbonique) et digestats, grâce à une communauté microbienne fonctionnant en mode anaérobie. Première filière de production de gaz renouvelable à ce jour, elle compte 574 installations en France, basées, pour l’essentiel, sur des procédés de méthanisation en voie humide. Une autre approche pour une partie des gisements disponibles en France, caractérisés par un fort taux de matière sèche, est la méthanisation en voie solide. D’où l’intensification des recherches menées, notamment par l’UTC et UniLaSalle dans le cadre d’un groupement scientifique, sur de nouveaux procédés de traitement en voie solide. On peut noter que les opérateurs de réseaux de distribution de gaz et le SER (syndicat des énergies renouvelables) ont proposé une accélération du développement des gaz renouvelables, fixant un objectif réaliste de 60 TWh pour 2028, dont plus de 50 TWh de biométhane issu de méthanisation. Selon l’ADEME, la méthanisation couvrirait à terme 30 % du mix de gaz renouvelable.
La pyrogazéification
Riche en gisements forestiers, la superficie forestière est de 16,9 millions d’hectares en Métropole, soit 31 % du territoire, le pays aurait tout intérêt à développer une filière de pyrogazéification qui, selon les scénarios de l’ADEME, serait en capacité de produire près de 40 % du mix de gaz renouvelable. Les principes de la gazéification ? Elle consiste à porter les sous-produits sylvicoles à des températures comprises entre 900 et 1200 °C. A la fin du processus, on a d’une part un résidu solide (fraction minérale des déchets appelé biochar) et, d’autre part un gaz de synthèse, appelé syngaz. Ce syngaz peut être transformé en méthane grâce à un procédé chimique ou biologique (procédé de méthanation).
Le power-to-gas
L’électricité ne se stocke pas. Or, à certaines périodes, l’électricité produite, notamment, par les champs éoliens terrestres, marins ou les centrales solaires n’est pas intégralement consommée. Nos voisins ayant les mêmes conditions climatiques, elle ne peut être exportée non plus. D’où l’innovation technologique que constitue le power-to-gas.Le principe ? Transformer l’électricité en hydrogène par électrolyse de l’eau. Ensuite, il s’agit de combiner l’hydrogène à du dioxyde de carbone (CO2) pour obtenir du méthane de synthèse, par un processus de méthanation.