Honoris causa UTC : Klaus Mosbach, un chercheur libre

Klaus Mos­bach est un « play-boy », et con­seille à tous d’en faire autant ! Avec cet humour car­ac­téris­tique d’une grande intel­li­gence, celui qui a reçu le titre de doc­teur hon­oris causa à l’UTC en avril dernier revient sur son par­cours et sur la néces­sité de garder un esprit libre.

Au com­mence­ment fut la musique. Klaus Mos­bach joue du piano, il a l’oreille absolue et s’amusait à retrou­ver, sur son clavier, le chant des oiseaux qu’il entendait lors de ses prom­e­nades dans les rues de son enfance.
Il est né en 1932 à Leipzig, en Alle­magne, puis a gran­di à Lund, en Suède. « Je me suis aperçu que les oiseaux chan­taient dif­férem­ment selon les quartiers. Cette obser­va­tion m’a con­duit à choisir la zoolo­gie à l’université, par pas­sion pour les oiseaux et la musique », se sou­vient celui qui a, un temps, hésité à pour­suiv­re une car­rière de pianiste pro­fes­sion­nel. La sci­ence aurait per­du un vision­naire. Sur injonc­tion de son père, il suit des cours de chimie, une sci­ence plus « solide » pour son avenir pro­fes­sion­nel, et s’engage ensuite dans un doc­tor­at en biochimie. 

« Penseur libre »

« Les biotech­nolo­gies ont un avenir immense et mon­di­al. Elles peu­vent chang­er nos façons de vivre dans un tas de domaines, à com­mencer par ceux de la san­té et de la chimie verte  », assure-t-il. Et Klaus Mos­bach sait de quoi il par­le.
Il y a vingt ans, quand il était « jeune et beau », pré­cise-t-il avec un sourire dans la voix, l’article qu’il pub­lie dans Nature ouvre une brèche his­torique. Il est en effet le pre­mier à démon­tr­er que les polymères à empreintes molécu­laires peu­vent être util­isés comme anti­corps syn­thé­tiques. Il s’agit d’assembler des monomères autour d’une molécule, puis d’extraire cette dernière de l’enveloppe ain­si for­mée. Un effet de « mémoire de forme » appa­raît : la cav­ité créée inter­ag­it avec les molécules iden­tiques à la molécule orig­inelle, entraî­nant des pro­priétés de recon­nais­sance molécu­laire très intéres­santes comme celles des anti­corps syn­thé­tiques, plus sta­bles que ceux pro­duits par le corps humain. « Mon frère et moi avions com­mencé par isol­er des pro­téines grâce à la tech­nique de chro­matogra­phie d’affinités. Nous util­i­sions pour cela les polymères poly­acry­lamides avec lesquels mon père tra­vail­lait pour fab­ri­quer ses pein­tures. Puis nous sommes par­venus à créer une enveloppe à base de monomères autour de ces molécules isolées, procédé sur lequel repose les polymères à empreintes molécu­laires. Per­son­ne n’y croy­ait à l’époque, mais nous y sommes par­venus ! En tant que penseur libre, affirme-t-il prudem­ment, comme pour ne pas être taxé de pré­ten­tieux, j’ai tout le temps des idées un peu folles. D’ailleurs, la plu­part des chercheurs en PhD ou en post-doc se retrou­vent dans la sit­u­a­tion stres­sante de pro­duc­tion d’articles sci­en­tifiques. Ils n’ont plus le temps de jouer, alors qu’ils devraient rester des “play-boys” ! Il leur faudrait plus de moyens et de temps pour essay­er, expéri­menter des choses extrav­a­gantes ou déraisonnables.  »

Passer à la valorisation

Klaus Mos­bach a reçu plus d’une dizaine de prix et de dis­tinc­tions tout au long de sa car­rière. Il a fondé le départe­ment de biochimie fon­da­men­tale et appliquée à l’université de Lund, et cofondé le départe­ment de biotech­nolo­gie à l’École poly­tech­nique fédérale de Zurich. 

L’heure n’est pas venue de regarder der­rière lui –« Mon meilleur sou­venir ? L’avenir me le dira !  » – mais de pass­er à la val­ori­sa­tion de la tech­nolo­gie qu’il a inven­tée. « Plus de 100 appli­ca­tions sont dévelop­pées actuelle­ment tous les ans, mais peu le sont à grande échelle, estime-t-il. Les polymères à empreintes molécu­laires peu­vent entr­er dans la com­po­si­tion de nou­veaux médica­ments, servir au traite­ment des eaux, etc. Nous avions mis au point un procédé reposant sur l’empreinte molécu­laire pour traiter les résidus de Tam­i­flu présents dans l’eau après des cam­pagnes de vac­ci­na­tion con­tre la grippe A. Traiter les résidus de pes­ti­cides représente un autre champ d’application. Nous pou­vons aus­si effectuer des tests anti­dopage très pré­cis lors de com­péti­tions sportives, à par­tir d’un échan­til­lon d’urine.  »

L’entreprise qu’il a créée, Bioswede, détient plus de 80 brevets mais pro­pose des solu­tions trop pio­nnières. « C’est donc actuelle­ment une société dor­mante  », regrette le pro­fesseur, dont les travaux ont inspiré des lab­o­ra­toires dans le monde entier, par­mi lesquels celui de l’UTC.

« Karsten Haupt et Daniel Thomas, mon ami de longue date, sont fan­tas­tiques. Le lab­o­ra­toire de Karsten Haupt est très bon dans le domaine de l’empreinte molécu­laire  », affirme Klaus Mos­bach, qui aimerait bien for­malis­er des liens plus forts entre l’UTC et l’Institut de Tech­nolo­gie de Lund, sur la base de un ou deux pro­jets à men­er conjointement.

Bio express :

1960 : Doc­teur en biochimie, Lund Uni­ver­si­ty (Suède)
1964–1970 Pro­fesseur asso­cié, Lund Uni­ver­si­ty (Suède)
1970–1997 : Pro­fesseur de biochimie, Lund Uni­ver­si­ty (Suède)
1982–1986 : Pro­fesseur et cofon­da­teur du départe­ment de biotech­nolo­gie, Fed­er­al Insti­tute of Tech­nol­o­gy, ETH, Zurich (Suisse)
1997–2010 : Pro­fesseur émérite, Lund Uni­ver­si­ty (Suède)
2010 — aujourd’hui : Senior Pro­fes­sor, Lund Uni­ver­si­ty (Suède)

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