Daniel Thomas pionnier de l’UTC

Pro­fesseur des uni­ver­sités, dès 1979, Daniel Thomas est entré à l’UTC le 1er mai 1974. Sa car­rière reste insé­para­ble de la réus­site de l’UTC à laque­lle il con­tribua de manière excep­tion­nelle. L’UTC perd l’une de ses plus hautes per­son­nal­ités dans le ray­on­nement sci­en­tifique inter­na­tion­al sur les biotech­nolo­gies dont il est à l’initiative. Ses qual­ités humaines res­teront à jamais gravées dans nos mémoires. Voici les pre­miers hom­mages que nous avons reçus de la part, entre autres, de cer­tains de ses amis de longue date. Nous con­tin­uerons à pub­li­er ces hom­mages dans les pages d’Interactions, en mémoire du grand homme qu’était Daniel Thomas.

Le pro­fesseur Daniel Thomas nous a quit­tés. Daniel Thomas est un grand sci­en­tifique, et un ami très cher. Je réalise aus­si toute la perte que sa dis­pari­tion représente pour l’UTC, la France et l’Eu­rope, car il était l’un des lead­ers mon­di­aux dans le domaine des biotech­nolo­gies, et plus spé­ci­fique­ment dans l’ingénierie enzymatique.

C’é­tait un grand sci­en­tifique, doué d’une très grande créa­tiv­ité. Le pro­fesseur Daniel Thomas a com­mencé très tôt à faire des décou­vertes cap­i­tales, faisant de l’UTC un cen­tre mon­di­al dans le domaine — il en était le vice-prési­dent au moment de sa dis­pari­tion. Lui et moi avions une rela­tion très créa­tive, que ce soit sur les plans pro­fes­sion­nels et per­son­nels. Par exem­ple, l’un de mes post-docs les plus tal­entueux, le doc­teur Karsten Haupt, aujour­d’hui pro­fesseur à l’UTC, venait de cette école. Il est aujour­d’hui un pio­nnier de grande qual­ité dans le domaine des biotech­nolo­gies, plus par­ti­c­ulière­ment dans l’im­pres­sion molécu­laire. Con­nu par les sci­en­tifiques et les entre­pre­neurs dans le monde, le pro­fesseur Daniel Thomas avait la capac­ité fan­tas­tique de créer de nou­velles con­nec­tions entre les entre­pris­es et les organ­ismes. Daniel Thomas tra­vail­lait active­ment à l’or­gan­i­sa­tion de ren­con­tres sci­en­tifiques, et je me rap­pelle par­ti­c­ulière­ment d’un col­loque inter­na­tion­al qui s’é­tait tenu à Com­piègne, clos par une très belle récep­tion à Ver­sailles. Je pour­rai aus­si men­tion­ner que j’ai reçu le titre de doc­teur Hon­oris Causa de l’UTC par Alain Stor­ck, prési­dent de l’UTC, et par Bernard Beignier, recteur de l’a­cadémie d’Amiens, chance­li­er des uni­ver­sités. C’est un grand hon­neur, qui me fut accordé dix années après le célèbre pro­fesseur Marc van Mon­tagu, lau­réat du prix Wolf.

Le pro­fesseur Daniel Thomas est une per­son­ne mer­veilleuse et excep­tion­nelle, ouverte, pos­i­tive et, qui plus est, dotée d’une mémoire fan­tas­tique. Je me sou­viens comme si c’é­tait hier d’un inci­dent sur­venu alors que nous, l’U­ni­ver­sité de Lund en Suède, avions invité Daniel Thomas pour faire par­tie d’un jury de thèse. Je dois soulign­er que les sou­te­nances de thèse représen­tent un événe­ment très respec­té en Suède, à l’oc­ca­sion desquelles j’es­saie d’in­viter les meilleurs opposants pos­si­bles, comme des lau­réats de prix Nobel. Lors de cette occa­sion, quand le pro­fesseur Daniel Thomas a pris la parole pour pos­er des ques­tions au doc­tor­ant — le jury se tient der­rière une table, face au sci­en­tifique qui sou­tient sa thèse — devant plus de 100 per­son­nes. Il faut soulign­er qu’il n’avait pas devant lui la thèse en ques­tion, un ouvrage de 100 à 200 pages, qu’il avait refer­mé et posé sur sa gauche. Il a débuté son inter­ven­tion par : ” Je me sou­viens qu’à la page 38, au deux­ième para­graphe, vous avez mal écrit une for­mule sci­en­tifique. ” Tout le monde dans le pub­lic fut stupé­fait par une telle mémoire.

Je pour­rais écrire un livre sur toi, Daniel, mais avec ces quelques lignes je souhaitais que les lecteurs sachent com­bi­en mes sen­ti­ments pour toi étaient impor­tants. La sci­ence a per­du un grand homme beau­coup trop tôt.

Klaus Mor­bach, Pro­fesseur émérite à Lund Uni­ver­si­ty (Suède), Doc­teur Hon­oris Causa de l’UTC

Un véritable bâtisseur

De toute ma car­rière j’ai rarement con­nu quelqu’un d’aus­si dynamique et entre­prenant. J’ai ren­con­tré Daniel Thomas en 1972, à la fin de ma thèse de doc­tor­at, alors qu’il était encore tout jeune chercheur de l’hôpi­tal Charles Nicolle à Rouen. Son ent­hou­si­asme était déjà com­mu­ni­catif et ses travaux, rich­es de développe­ments à venir.

L’an­née précé­dente, mon col­lègue René Lefever avait ren­con­tré Daniel Thomas, lors d’une école à Aus­sois, et il avait perçu tout l’in­térêt des travaux du jeune sci­en­tifique qui avait déjà com­mencé à immo­bilis­er des enzymes. Il l’avait donc invité à l’U­ni­ver­sité libre de Brux­elles (ULB), lors d’un col­loque qui lui per­mit de ren­con­tr­er Ilya Pri­gogine (prix Nobel de Chimie en 1977). Les travaux de Daniel Thomas con­cer­nant la bi-sta­bil­ité dans les mem­branes por­teuses d’en­zymes immo­bil­isées se rat­tachaient aux travaux de Pri­gogine sur les phénomènes d’au­to-organ­i­sa­tion et les struc­tures dis­si­pa­tives. Ces recherch­es de Daniel Thomas allaient don­ner lieu à la pub­li­ca­tion d’un arti­cle dans Nature en 1974, inti­t­ulé ” Mem­o­ry in enzyme mem­branes “. Au début des années 1980, Ilya Pri­gogine organ­isa une ren­con­tre entre Daniel Thomas et Jacques Solvay, alors à la tête de l’en­tre­prise éponyme, ce qui con­duisit Daniel Thomas à une col­lab­o­ra­tion avec la firme Solvay sur les enzymes immo­bil­isées. Daniel Thomas revint fréquem­ment à l’ULB où il fut tit­u­laire de la Chaire Solvay en 1982–83. Il était capa­ble de don­ner cours pen­dant près de deux heures sans aucune note, ce qui en impres­sion­nait plus d’un ! A l’UTC, il avait con­sti­tué une équipe de jeunes chercheurs ent­hou­si­astes et dynamiques à qui il savait insuf­fler une belle impulsion.

Suite à ma pre­mière ren­con­tre avec Daniel Thomas, dans le cadre de ma thèse de doc­tor­at, j’avais entre­pris une thèse annexe sur un sujet de recherche qu’il dévelop­pait à l’époque dans son lab­o­ra­toire. Je suis donc allé le voir plusieurs fois à Rouen, puis à l’UTC, école qu’il avait rejointe dès le début avec son col­lègue et ami le math­é­mati­cien Jean-Pierre Kern­evez, dis­paru pré­maturé­ment. Tous les deux étaient très proches : Daniel Thomas avait com­pris bien avant le reste de la com­mu­nauté des chercheurs en sci­ences de la vie tout le poten­tiel de la mod­éli­sa­tion en biolo­gie et la com­plé­men­tar­ité entre les approches expéri­men­tale et théorique. J’ai revu fréquem­ment Daniel Thomas pen­dant les années suiv­antes. Quand j’ef­fec­tu­ais mon post-doc à l’In­sti­tut Weiz­mann, en Israël, en 1973–1975, nous tra­vail­lions avec René Lefever, à trois, sur un arti­cle qui n’est finale­ment jamais paru. Daniel Thomas l’avait oublié dans un tiroir et les quelques retouch­es à lui apporter avant pub­li­ca­tion n’ont jamais été effec­tuées ! Et pour cause : déjà à l’époque, il menait beau­coup de dossiers de front. Il ne s’ar­rê­tait jamais. C’é­tait un vision­naire et un créatif, un véri­ta­ble bâtisseur.

Puis nos domaines de recherch­es se sont éloignés, les miens se con­cen­trant sur la mod­éli­sa­tion des rythmes du vivant, les siens sur les biotech­nolo­gies. Je l’es­ti­mais énor­mé­ment. Il m’avait recon­tac­té il y a quelques années pour une réu­nion du con­seil sci­en­tifique de l’UTC, et j’ai regret­té d’avoir dû déclin­er son invi­ta­tion, faute de temps, car cela m’au­rait don­né l’oc­ca­sion, et surtout le plaisir, de le revoir. Je me sou­viendrai tou­jours de son regard, péné­trant, rieur, presque gouailleur, et plein de mal­ice. Aus­si je ne fus pas éton­né de voir toute l’am­pleur qu’il avait su don­ner à ses travaux et à ses recherch­es grâce à leurs appli­ca­tions dans le secteur des biotech­nolo­gies. C’é­tait un homme excep­tion­nel, dont le sou­venir restera gravé dans ma mémoire.

Albert Gold­beter, Prix quin­quen­nal du FNRS (Fonds de la Recherche Sci­en­tifique), Pro­fesseur à l’U­ni­ver­sité Libre de Bruxelles

Le lien entre les mondes académiques et industriels

Daniel Thomas et moi nous sommes ren­con­trés en 1981, lors d’un Con­grès à Tokyo. En tant que pio­nnier sur les OGM, je lui ai expliqué tout ce que je pen­sais qu’il était pos­si­ble de créer à par­tir des plantes, et il a immé­di­ate­ment com­pris l’im­por­tance essen­tielle des sci­ences du vivant pour l’avenir de nos sociétés alors qu’il était doc­teur en sci­ences physiques.

Sou­vent les sci­en­tifiques aiment se présen­ter comme les lead­ers dans leur domaine de recherche fon­da­men­tale, sans s’in­quiéter des appli­ca­tions pos­si­bles de leur tra­vail. Mais Daniel Thomas, avec ses fonc­tions à l’UTC comme à l’A­cadémie des Tech­nolo­gies, ressen­tait comme étant de son devoir d’in­former des avancées effec­tuées dans les lab­o­ra­toires ceux qui pou­vaient en atten­dre des retombées. Il était le lien entre les acteurs académiques et indus­triels dans le secteur des biotech­nolo­gies, même s’il apparte­nait fon­da­men­tale­ment au monde de l’en­seigne­ment et de la recherche. Doté de beau­coup de charme et d’une grande intel­li­gence, Daniel Thomas avait la fac­ulté de com­mu­ni­quer avec n’im­porte quel spé­cial­iste, ce qui lui per­me­t­tait de faire avancer la sci­ence et ses appli­ca­tions dans beau­coup de domaines. Intè­gre et hon­nête, il avait con­sti­tué au fil du temps un très vaste réseau d’amis fidèles, et de per­son­nes qui l’é­coutaient pour progresser.

Quand, à la fin des années 1990, les groupes écol­o­gistes ont décidé de con­damn­er les OGM à base de slo­gans idéologiques sans fonde­ment sci­en­tifique, ce fut un moment dif­fi­cile pour lui. Aucun poli­tique n’a eu le courage de défendre le point de vue sci­en­tifique, surtout en France, ce qui a son­né le glas pour la recherche dans ce domaine. Mais Daniel Thomas ne s’est pas lais­sé abat­tre, et c’est son grand mérite. Il a ori­en­té son tra­vail vers la fer­men­ta­tion et l’u­til­i­sa­tion des déchets organiques comme matières pre­mières sources d’én­ergie. C’est une énergie promise à un bel avenir en France, si le pays souhaite sor­tir du nucléaire et n’ex­ploite pas les gaz de schiste de son sous-sol. Le car­bone vert issu des plantes et des déchets organiques peut rem­plac­er le car­bone fos­sile et, grâce à lui, l’UTC est très bien posi­tion­née sur ce créneau. Il tra­vail­lait égale­ment sur le développe­ment de pro­téines catalysatri­ces capa­bles de pro­duire la matière pre­mière du futur pour les indus­tries du plas­tique, afin de rem­plac­er les dérivés du pét­role par des com­posants bio-sour­cés et abon­dants. Seule­ment la recherche n’est pas dotée d’assez de moyens pour aller aus­si vite que l’am­pleur des défis de la démo­gra­phie et des boule­verse­ments cli­ma­tiques l’im­poserait. La vie est tou­jours trop courte : Daniel Thomas est par­ti à 68 ans, alors que j’en ai 81 et que je me con­sid­ère tou­jours comme un jeune débutant.

Marc Van Mon­tagu, Lau­réat du Prix Wolf, Pro­fesseur à l’U­ni­ver­sité de Gand

Le magazine

Novembre 2023 - N°61

Activité physique, nutrition & santé

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