Des micro-organes sur biopuce
Directeur de recherche CNRS au laboratoire BioMécanique et BioIngénierie (BMBI) de l’UTC et du CNRS entre 2003 et 2015, Éric Leclerc collabore, au sein du LIMMS (Laboratory of Integrated Micro Mechatronic Systems), une unité mixte internationale (CNRS/université de Tokyo), avec des équipes franco-japonaises.
Après une thèse au CEA à Grenoble sur les « explosions de vapeur, une phase accidentelle qui se produit dans les centrales nucléaires », Éric Leclerc, doté de compétences solides en mécanique des fluides, aurait pu se retrouver « en Norvège chez Total dans les procédés d’extraction d’huiles ou chez EDF dans la modélisation des circuits hydrauliques des cœurs de centrales nucléaires », mais c’est le Japon et la recherche qui l’emportent. La raison ? « La proposition du CNRS et de l’université de Tokyo de travailler sur une nouvelle génération de micro-bioréacteurs pour des applications biologiques m’intéressait beaucoup plus. Notamment, la création de microorganes sur des biopuces permettant d’étudier des mécanismes du fonctionnement hépatique normaux ou pathologiques dans des conditions proches de la réalité physiologique », souligne-t-il.
C’est ainsi que, lors de son post-doctorat au LIMMS et au laboratoire
du professeur Fujii (Applied Microfluidic Systems Lab) à l’Institut des
sciences industrielles de l’université de Tokyo, Éric Leclerc commence à
développer, en partenariat avec le professeur Sakai (Organs and
biosystems engineering Lab), des modèles d’organes sur puce. Un travail
de recherche qui dura trois ans. « Il
s’agissait de créer des
micro-environnements, des micro-bioréacteurs pour cultiver, dans ce cas
précis, des cellules de foie tout en reproduisant la physiologie
humaine. Ce qui nous permet de tester les effets d’un nouveau médicament
ou d’un polluant donné, par exemple, et de pouvoir effectuer, le plus
rapidement et plus pertinemment possible, une extrapolation du modèle
vers l’homme », explique-t-il.
En 2003, retour en France. Il poursuit, pendant dix ans, ses recherches sur le foie au sein de l’unité mixte de recherche (CNRS/UTC). Le choix du foie ? « C’est un organe central dans l’organisme puisque tout composé – aliment ou médicament, par exemple – qui rentre dans l’organisme, que ce soit par voie orale ou cutanée, va passer dans le sang, puis dans le foie pour être transformé et détoxifié. C’est tout naturellement qu’il devient un des premiers organes cible pour comprendre l’effet d’une molécule donnée sur le foie lui-même et par la suite sur l’organisme. Un médicament qui sera par exemple dégradé dans le foie avant d’atteindre sa cible n’aura ainsi aucun intérêt. Idem pour un médicament toxique pour le foie lui-même », insiste-t-il. Des recherches qu’il étend, progressivement, aux bioréacteurs du rein et des intestins, notamment. L’objectif ? « Il s’agissait de les faire fonctionner ensemble afin d’étudier les réponses physiologiques de problèmes multiorganes », dit-il.
En 2015, direction Tokyo au LIMMS et dans le laboratoire du professeur Sakai. Cette fois, les recherches se poursuivent dans le cadre d’une collaboration entre les laboratoires du professeur Fujii et du professeur Sakai auxquels se joindra le professeur Minami du laboratoire (Supramolecular Materials Design Laboratory). Le but ? Étendre les technologies d’organes sur puces aux technologies des cellules souches pluripotentes induites (iPSC). L’intérêt de ces iPSC ? « On peut les reprogrammer et en contrôler, en un sens, le devenir. En somme, contrôler la différenciation cellulaire et la diriger vers la production de cellules d’organes spécifiques. Ainsi, avec le professeur Fujii, on a développé des microenvironnements fonctionnels avec des capteurs à oxygène afin de vérifier l’oxygénation dans ces tissus ; avec le professeur Sakai, on a travaillé sur le protocole de transformation de ces cellules ; et enfin avec le professeur Minami, on a exploré d’autres capteurs, de type glucose par exemple, pour avoir une analyse en continu du métabolisme des cellules », détaille Éric Leclerc.
L’idée qui sous-tend ces recherches ? « Il s’agit d’avoir des modèles qui reproduisent la physiologie humaine en utilisant des cellules humaines. On peut citer, par exemple, les modèles humains permettant d’étudier la régénération hépatique, les modèles de pathologies humaines sur lesquelles on pourrait tester des molécules d’intérêt (médicaments) sans passer par la phase des tests sur l’animal ou encore éviter les modèles non physiologiques », préciset-il.