Des ‘anticorps en plastique’ contre les mauvaises odeurs
Si les anticorps sont capables de reconnaître les agents pathogènes, pourquoi ne pas s’en inspirer afin de fabriquer des équivalents synthétiques, sorte de moules moléculaires polymériques pour cibler les molécules désirées ? Ces matériaux s’appellent ‘MIP’ et viennent d’être élaborés afin de piéger les molécules impliquées dans la production des mauvaises odeurs corporelles. Après ce premier succès rencontré en cosmétique (1), leur carrière semble prometteuse dans le domaine biomédical où mieux cibler les traitements devient une nécessité.
Et si au lieu de tartiner nos aisselles de déodorants, peu respectueux de notre épiderme et de son écosystème, nous choisissions de piéger les molécules spécifiquement responsables du développement des mauvaises odeurs corporelles? C’est ce que viennent de rendre possible Karsten Haupt, professeur en nanobiotechnologie et responsable du laboratoire de Génie Enzymatique et Cellulaire (GEC) et Bernadette Tse Sum Bui, ingénieure de recherche CNRS, dans le cadre de travaux de recherche menés en partenariat avec L’Oréal sur des polymères à empreintes moléculaires (MIP pour molecularly imprinted polymers). En s’inspirant des anticorps, leur équipe a mis au point des matériaux synthétiques capables de reconnaître et capturer des molécules présentes dans la sueur et impliquées dans le processus responsable des mauvaises odeurs.2[KH1]
L’art du moulage moléculaire
Ces MIP sont des matériaux bioinspirés et biomimétiques ressemblants à de minuscules particules de plastique de moins d’un micron. Leur surface est criblée de petites cavités dont la forme et les caractéristiques chimiques correspondent exactement aux molécules ciblées. Elles sont d’ailleurs obtenues par moulage moléculaire, un procédé consistant à mouler le polymère autour d’une molécule cible unique servant ainsi de gabarit. « Le GEC dispose des équipements nécessaire pour procéder à de tels moulages et fabriquer des MIP » souligne Karsten Haupt qui précise que « si le procédé n’est pas nouveau, son application au domaine cosmétique et biomédical est, elle, récente ».
Piéger les mauvaises odeurs
Les travaux réalisés en partenariat avec L’Oréal ont consisté à concevoir et produire des MIP spécialisés pour piéger certaines molécules présentes dans la sueur et responsables de la formation des mauvaises odeurs. Ces molécules précurseurs inodores servent de repas à des bactéries de l’épiderme qui les consomment et les dégradent, produisant ainsi des acides organiques volatils odorants. Capturer ces précurseurs est un procédé particulièrement élégant puisqu’il ne détruit pas les bactéries de la peau comme le font les produits déodorants actuels. Il ne perturbe donc pas l’écosystème de la peau et ne favorise pas le développement de résistance chez les microorganismes. Il évite aussi d’avoir recours à des sels d’aluminium, potentiellement toxiques et cancérigènes, souvent utilisés dans les antiperspirants afin de limiter la production de sueur. Ces MIP n’ont qu’un faible impact sur ces bactéries, celui de limiter leur approvisionnement en nourriture.
« Les MIP élaborés dans ce projet de recherche avec L’Oréal ciblent un des trois groupes de molécules responsables des mauvaises odeurs de la peau » signale Karsten Haupt qui laisse ouverte la possibilité de concevoir des MIP pour chacun de ces différents groupes. Un brevet3[KH2] a été déposé pour le MIP élaboré par le GEC et il incombe maintenant à L’Oréal d’intégrer à ses produits cette première utilisation des MIP en cosmétique.
Séparer, capturer ou délivrer des substances
Utilisés depuis les années 1980 dans l’industrie chimique pour reconnaître et séparer les différentes formes d’une même molécule, ou des molécules de structure similaire, les MIP sont aujourd’hui produits par plusieurs sociétés pour des fins analytiques en industrie biomédicale et agroalimentaire. De nombreuses applications existent aussi dans le domaine de l’environnement pour détecter et capturer des molécules indésirables, ou dans le domaine de la sécurité. Le GEC participe par exemple à un important projet européen visant à élaborer des outils de détection d’explosifs artisanaux. Le principal domaine d’application reste cependant le domaine biomédical avec des applications en imagerie médical, comme l’utilisation d’anticorps fluorescent pour détecter des cellules tumorales. Dans ce cas, les MIP sont calqués sur des anticorps capables de cibler les structures chimiques spécifiques à la tumeur.
A l’inverse, les MIP sont aussi susceptible d’être « chargés » avec des substances actives dans le but de délivrer ces dernières, par exemple à la surface de la peau. De tels procédés sont envisagés afin d’améliorer le traitement de certaines maladies nécessitant des traitements très ciblés.
Bioressources, Bioinspiration et Biomimétisme
Et si les MIP ont le vent en poupe, c’est qu’ils se montrent plus faciles à manipuler et à stocker que les anticorps classiques. Moins sensibles à la température et plus stables chimiquement, ils sont donc mieux adaptés à des utilisations dans des contextes « extrêmes ». Ils ont aussi l’avantage de pouvoir être produit à moindres coûts, sans recours à des animaux nécessaires à la production d’anticorps. Pour Karsten Haupt « le potentiel semble important et de nombreuses applications existent pour ces produits ». L’objectif du GEC est maintenant de travailler sur leurs utilisations en tant que principes actifs dans le domaine biomédical, en s’appuyant sur cette application innovante des MIPs dans les cosmétiques. Impliqué dans différents projets de recherche nationaux et européens dans les domaines des « bioressources, bioinspiration et biomimétisme », le GEC souhaite aujourd’hui donner plus de place à ces aspects dans ses travaux. La conception de MIP comme principe actif dans le domaine biomédical offre donc à ces chercheurs l’opportunité d’étudier les mécanismes et les fonctionnements de la nature afin d’en mimer les procédés et d’en concevoir de nouveaux matériaux et outils.
[1] www.rsc.org/chemistryworld/2016/05/plastic-antibodies-molecularly-imprinted-polymer-deodorant-fight-body-odour; www.cosmeticsdesign-europe.com/Formulation-Science/L‑Oreal-backs-research-into-plastic-antibodies-in-deodorant
[2] S. Nestora, F. Merlier, S. Beyazit, E. Prost, L. Duma, B. Baril, A. Greaves, K. Haupt, B. Tse Sum Bui, Plastic antibodies for cosmetics: Molecularly imprinted polymers scavenge precursors of malodors. Angewandte Chemie International Edition, 2016, 55, 6252–6256.
[3] A. Greaves, F. Manfre, K. Haupt, B. Tse Sum Bui, WO 2014/102077 A1, 2014.
Plastic antibodies for cosmetics: Molecularly imprinted polymers scavenge precursors of malodors.
S. Nestora, F. Merlier, S. Beyazit, E. Prost, L. Duma, B. Baril, A. Greaves, K. Haupt, B. Tse Sum Bui. Angewandte Chemie International Edition, 2016, 55, 6252–6256.
A. Greaves, F. Manfre, K. Haupt, B. Tse Sum Bui, Brevet L’OREAL WO 2014/102077 A1, 2014