Un nouvel implant breveté

Comme les trois mous­que­taires qui, comme tout le monde le sait, étaient qua­tre, Anne-Vir­ginie Sal­sac, direc­trice de recherche au CNRS au sein du lab­o­ra­toire Bio­mé­canique et Bio­ingénierie (BMBI), le pro­fesseur Jean-Paul Cou­etil et le doc­teur Éric Bergoënd, tous deux chirurgiens car­diaques, et Adrien Laper­rousaz, alors élève ingénieur à l’UTC, ont conçu un implant inno­vant des­tiné au traite­ment de l’insuffisance mitrale fonc­tion­nelle. Un implant d’ores et déjà breveté à l’échelle nationale et en attente de son exten­sion européenne. 

Tout com­mence en 2014 par un e‑mail envoyé à Cécile Legal­lais, direc­trice du BMBI, par le pro­fesseur Jean-Paul Cou­etil, alors chef du ser­vice de chirurgie tho­racique et car­dio-vas­cu­laire, et son col­lègue, le doc­teur Éric Bergoënd, tous deux chirurgiens car­diaques au CHU Hen­ri-Mon­dor de Créteil. Ils y expo­saient le con­cept d’un nou­veau type d’implant car­diaque et souhaitaient con­cré­tis­er leur idée à l’aide des chercheurs et ingénieurs du BMBI. L’e‑mail fut trans­mis à Anne-Vir­ginie Sal­sac et déboucha sur une ren­con­tre afin d’évaluer la fais­abil­ité du pro­jet. « Ils cher­chaient des per­son­nes spé­cial­isées en bio­mé­canique, avec des com­pé­tences en tech­nolo­gie et bio­ingénierie des dis­posi­tifs médi­caux, famil­iarisées avec le monde de la recherche et sus­cep­ti­bles de col­la­bor­er avec eux. En somme, une équipe de recherche ayant la capac­ité de voir les besoins d’un point de vue clin­ique et capa­ble de pro­pos­er des idées de dis­posi­tifs, d’en assur­er la con­cep­tion et d’accompagner le pro­jet à son terme. C’est lors d’une réu­nion qui s’est tenue peu après qu’ils nous ont expliqué la prob­lé­ma­tique de l’insuffisance mitrale fonc­tion­nelle, ses con­séquences graves d’un point de vue clin­ique, notam­ment sur les patients qui ne tolèrent pas les dis­posi­tifs exis­tants », explique Anne-Vir­ginie Salsac. 

Il fal­lait donc réfléchir à d’autres solu­tions. « Décou­vrir, c’est définir pré­cisé­ment le prob­lème ou la prob­lé­ma­tique. Ce sont eux qui font que, selon l’état d’esprit que vous avez, vous détenez la cer­ti­tude qu’il y aura divers­es solu­tions pos­si­bles. À charge pour l’équipe de ten­ter de trou­ver la meilleure », assure Jean-Paul Cou­etil, qui a plusieurs brevets en chirurgie car­diaque à son act­if. Il faut recon­naître qu’il a été à bonne école puisqu’il était l’un des derniers élèves du pro­fesseur Car­pen­tier, grand spé­cial­iste en plas­tie mitrale et répa­ra­tion valvu­laire mitrale à l’hôpital Brous­sais. Un domaine qu’il a con­tin­ué d’explorer en rejoignant, en 2010, le CHU Hen­ri-Mon­dor en tant que chef de service. 

Les raisons qui ont con­duit Jean-Paul Cou­etil et Éric Bergoënd à réfléchir à un nou­veau dis­posi­tif ? « Il y a deux types d’insuffisances mitrales : l’insuffisance mitrale organique et l’insuffisance mitrale fonc­tion­nelle. Dans le pre­mier cas, c’est la valve mitrale qui est défectueuse dans sa struc­ture. En somme, ce sont les tis­sus valvu­laires, les piliers ou les cordages fixés sur le ven­tricule gauche qui peu­vent être défectueux. Dans le sec­ond cas, c’est la fonc­tion valvu­laire qui est détéri­orée mais pas la struc­ture elle-même. Une fonc­tion qui peut être altérée en rai­son d’une anom­alie dans l’anatomie de la valve. Celle-ci per­met, en principe, au sang de s’écouler en sens unique de l’oreillette gauche vers le ven­tricule gauche, tel un dou­ble clapet anti-retour. Or, quand ses deux feuil­lets, par exem­ple, n’entrent plus en con­tact pen­dant la con­trac­tion du ven­tricule, une par­tie du sang reflue dans l’oreillette, ren­dant la pompe car­diaque moins effi­cace. Ce qui peut entraîn­er à terme une insuff­i­sance car­diaque, c’est-à-dire une insuff­i­sance du mus­cle ven­tric­u­laire. D’autant que cer­tains patients ne sup­por­t­ent pas les traite­ments exis­tants », explique Jean-Paul Couetil. 

L’idée d’un implant de nou­veau type ? « La par­tic­u­lar­ité du pro­fesseur Cou­etil est d’avoir plusieurs idées à la minute. On dis­cute en effet sou­vent des patholo­gies dont les traite­ments exis­tants s’avèrent soit inef­fi­caces, soit trop invasifs et des moyens d’améliorer la prise en charge des patients. Nous nous sommes en par­ti­c­uli­er intéressés au traite­ment de l’insuffisance mitrale fonc­tion­nelle qui est due à une détéri­o­ra­tion de la fonc­tion valvu­laire car­ac­térisée par un défaut de con­tact entre les deux feuil­lets de la valve en sys­tole. C’est lors de dis­cus­sions, en 2011–2012, autour de cette prob­lé­ma­tique, qu’il a lancé l’idée de pal­li­er ce défaut de con­tact en comblant l’espace anor­mal présent entre les feuil­lets valvu­laires à l’aide d’un dis­posi­tif implantable ; la nature exacte du dis­posi­tif n’étant pas à ce stade définie », pré­cise Éric Bergoënd. Jusque-là en effet, la seule tech­nique exis­tante pour répar­er une valve défi­ciente de manière « mini-inva­sive » (par voie tran­scu­tanée, sans opéra­tion à coeur ouvert) con­siste à pos­er une petite pince reliant les deux feuil­lets en leur milieu. Cela favorise leur con­tact sans le garan­tir, mais per­turbe le fonc­tion­nement de la valve et l’écoulement sanguin. 

La par­tic­u­lar­ité du pro­jet mené au sein du BMBI ? « Une fois la prob­lé­ma­tique posée, nous avons pen­sé que la con­cep­tion d’un nou­veau dis­posi­tif con­sis­tant à rétablir l’étanchéité de la valve était un pro­jet idéal pour la mise en place d’un pro­jet de recherche pro­posé aux étu­di­ants ingénieurs dans le cadre de leur for­ma­tion. C’est ain­si qu’une équipepro­jet, réu­nis­sant les chirurgiens car­diaques Jean-Paul Cou­etil et Éric Bergoënd, des groupes pluridis­ci­plinaires d’étudiants de l’UTC (bac+3 à bac+5) et des chercheurs de BMBI se mit en place », souligne Anne-Vir­ginie Sal­sac. « L’on a for­mé ain­si des groupes de 5–6 étu­di­ants qui ont tra­vail­lé, par péri­ode de six mois, sur le pro­jet. Bien enten­du, en tant qu’enseignants-chercheurs, nous assu­ri­ons le suivi du pro­jet lors de points réguliers avec eux afin de véri­fi­er que cela avance dans la bonne direc­tion et d’impulser la bonne dynamique », ajoute-t-elle. 

Alors élève ingénieur en 4e année en ingénierie mécanique, Adrien Laper­rousaz a servi, selon elle, de fil con­duc­teur sur la durée totale du pro­jet. « Jusque-là, je ne m’étais intéressé qu’à la mécanique au sens de sci­ence du mou­ve­ment des mécan­ismes et n’avais jamais approché le médi­cal », racon­te Adrien Laper­rousaz. « En févri­er 2014, Anne-Vir­ginie Sal­sac a déposé sur l’espace numérique de tra­vail de l’UTC un sujet d’UV-projet (“PR” dans le jar­gon UTC) autour de ce nou­veau dis­posi­tif de répa­ra­tion de la valve mitrale. Cela m’a intéressé et j’ai été sélec­tion­né par­mi les cinq étu­di­ants pour le démar­rage de la pre­mière PR con­sacrée à l’implant car­diaque. J’étais le seul issu du génie mécanique, les qua­tre autres venant du génie biologique, et le seul à maîtris­er les logi­ciels de con­cep­tion pour faire de la mod­éli­sa­tion en 3D. Ce qui per­met de réalis­er des visuels plus par­lants. Nous avons ren­con­tré par la suite, accom­pa­g­nés d’Anne-Virginie Sal­sac, les deux chirurgiens qui nous ont décrit leur idée et nous nous sommes mis au tra­vail pen­dant cinq mois », détaille Adrien Laperrousaz. 

« L’UV ter­minée, que faire ? », s’interroge-t-il. D’autant que les qua­tre autres cama­rades sont par­tis effectuer leur stage de fin d’études. Ayant pris goût à ce qu’il fai­sait, il déci­da de rem­pil­er en sep­tem­bre 2014. « Étant le seul présent depuis le début et le seul à maîtris­er l’état de l’art du pro­jet, nous avons décidé de mon­ter plusieurs groupes de PR – un groupe qui tra­vaillerait sur les matéri­aux, par exem­ple ; un autre encore sur l’état de l’art des brevets, etc. En jan­vi­er 2015, nous avons réal­isé que l’on avait assez de matière pour mon­ter un dossier et com­mencer à chercher des finance­ments afin de dévelop­per des pro­to­types », souligne-t-il. 

C’est ain­si qu’Adrien et ses col­lègues déposent, en mars 2015, un dossier au con­cours nation­al I‑Lab dans la caté­gorie « Emer­gence » dont ils sor­tent lau­réats en mai 2015. Avec, à la clef, une bourse de 25 000 euros. Ce qui a per­mis à l’UTC de lui financer son stage de fin d’études au Cen­tre d’innovation. « C’est en sep­tem­bre 2015, dans le cadre de ce stage, que j’ai com­mencé à dévelop­per un pro­to­type d’implant afin de pou­voir effectuer des tests in vit­ro », ajoute Adrien Laperrousaz. 

L’approche inno­vante dévelop­pée par cette équipe de l’UTC et du CNRS con­siste à rétablir l’étanchéité de la valve en fix­ant sur l’un de ses feuil­lets un bal­lon­net gon­flable, par voie transcutanée. 

« La créa­tion d’un nou­veau dis­posi­tif s’accompagne en effet tou­jours d’une phase d’expérimentation. Il s’agit en somme de voir com­ment il fonc­tionne dans des con­di­tions les plus réal­istes pos­si­bles. D’où l’idée d’implanter le pro­to­type in vit­ro, sur un mod­èle de coeur expéri­men­tal – à la Uni­ver­si­ty Col­lege Lon­don (UCL) – qui repro­duit l’écoulement du sang comme dans un coeur humain. L’on a égale­ment repro­duit les patholo­gies liées à la valve mitrale pour être au plus près de la réal­ité. Des tests menés avec suc­cès, puisqu’il y avait une réelle réduc­tion de la fuite résidu­elle. Ce qui nous a per­mis du coup d’apporter une preuve de con­cept », décrit Anne-Vir­ginie Salsac. 

Ce qui a motivé le choix de l’UTC ? « Un col­lègue qui a dévelop­pé plusieurs pro­jets dans le domaine de la biotech­nolo­gie nous a con­seil­lé de faire appel aux ingénieurs et chercheurs de l’UTC si l’on voulait que ce pro­jet aboutisse. Un avis partagé par un enseignant-chercheur de l’École poly­tech­nique que j’avais con­tac­té et qui m’a trans­mis les noms de Cécile Legal­lais et d’Anne-Virginie Sal­sac. Tous les deux ont loué le dynamisme de l’UTC et assuré que l’on y trou­verait de réelles com­pé­tences en bio­ingénierie », explique Éric Bergoënd. Il en aura fal­lu de l’énergie à toute l’équipe pour arriv­er à un con­cept aus­si abouti et tra­vailler à la rédac­tion du brevet. 

Mais l’aventure n’est pas finie puisque Thibaut Alleau pour­suit une thèse Cifre sous la direc­tion d’Anne-Virginie Sal­sac, en parte­nar­i­at avec l’entreprise SEGULA Tech­nolo­gies, sur la réal­i­sa­tion d’un mod­èle numérique de la dynamique de la valve mitrale, per­me­t­tant de tester la pose d’implants.

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