59 : Health & Care Technologies
Laboratoire interdisciplinaire de sciences humaines et sociales de l’UTC, dédié à l’étude du fait technique, Costech est partie prenante, avec le laboratoire de Biomécanique et Bioingénierie, du pôle Health & Care Technologies. Une thématique transversale qui embrasse divers champs tels que la conservation de matériaux biologiques en biobanques, la conception d’organes bioartificiels, la suppléance perceptive ou encore les dispositifs d’intelligence artificielle pour le diagnostic (cancers, maladie de Lyme).
Professeur de philosophie des techniques, Xavier Guchet est, depuis 2019, directeur de Costech. Fort de près de 60 personnes – enseignants-chercheurs, doctorants, post-doctorants et sans compter les chercheurs associés – Costech est organisé autour de trois équipes de recherche.
Créé en 1993, essentiellement par des philosophes et des spécialistes des sciences cognitives, Costech s’est, au tout début, construit autour de la problématique suivante : la dimension techniquement constituée des facultés cognitives humaines. Autrement dit, le fait que nos capacités cognitives ne s’exercent que par une supplémentation technique. Laboratoire de sciences humaines et sociales, il s’est, depuis, ouvert à de nouvelles disciplines. « Aujourd’hui, on compte plus de dix disciplines différentes. Cela va de la philosophie des techniques et des sciences cognitives à l’épistémologie, l’histoire des techniques, le design, la psychologie, la sociologie, les sciences de l’information et de la communication, les sciences du langage, la science politique, l’informatique ou encore l’économie et la gestion », énumère Xavier Guchet. Ce qui en fait le laboratoire dédié à l’étude du fait technique le plus interdisciplinaire en France. « Il s’agit pour nous d’étudier le fait technique au prisme de toutes les disciplines », dit-il.
Costech est structuré autour de trois équipes : L’équipe CRED (Cognitive Research and Enactive Design), l’équipe EPIN (Écritures, Pratiques et Interactions Numériques) et enfin l’équipe CRI (Complexités, Réseaux et Innovation).
La première, plus tournée vers les sciences humaines et les sciences cognitives, comprend notamment des philosophes, des psychologues, des historiens des techniques, des chercheurs en sciences cognitives et en sciences du langage, ou encore des épistémologues et des informaticiens.
Parmi les axes de recherche du CRED ? « C’est une équipe avec des profils disciplinaires différents mais nos travaux se rencontrent à l’intersection de deux grandes questions. La première concerne l’étude du fait technique d’un point de vue à la fois historique, philosophique et épistémologique. Nous explorons la thèse selon laquelle la technique est constitutive de l’être humain au sens où elle rend possible notre manière d’être au monde. Nous nous intéressons également aux technologies contemporaines et à leurs enjeux éthiques et sociaux. La seconde concerne la cognition et se déploie à travers des recherches expérimentales et théoriques portant sur la perception, la pensée, le langage et le rôle des médiations techniques. Ces deux grandes questions finissent par se cristalliser dans la problématique du design, et en particulier le design de dispositifs de suppléance perceptive, qui est au cœur de la recherche technologique menée par l’équipe », explique Vincenzo Raimondi, responsable du CRED.
La deuxième, plus orientée vers les sciences de l’information et de la communication et la science politique, s’intéresse, particulièrement, à deux problématiques : la Littératie numérique et les transformations politiques à l’ère du numérique.
Plus concrètement ? « Nous menons un travail sur le numérique à travers deux axes principaux. D’une part, une sociologie des pratiques et des usages du numérique, de l’autre la spécificité des écritures et des littératures numériques. Dans le premier cas, on va étudier en quoi les technologies numériques transforment les dynamiques sociales et les pratiques politiques avec des travaux qui vont porter par exemple sur la démocratie numérique ou la régulation des plateformes. Dans le second, il s’agit d’étudier comment le numérique ouvre la porte, entre autres, à de nouvelles façons de créer ou d’interagir avec les créations en ligne. On observe ainsi que le numérique modifie le langage et le médium de certaines pratiques artistiques. Certains chercheurs de notre équipe vont ainsi articuler de la recherche et de la création en produisant des contenus qui visent à montrer en quoi le numérique permet de créer différemment », précise Anne Bellon, co-responsable de EPIN.
Des problématiques qui débouchent sur de nombreux projets dont un sur la découvrabilité financé par le Ministère de la culture. « Il s’agit de développer des outils pour étudier nos pratiques culturelles en ligne et voir dans quelle mesure elles sont orientées par les algorithmes de recommandation des plateformes à but culturel par exemple », ajoute-t-elle.
Enfin l’équipe CRI, formée de 27 chercheurs et très pluridisciplinaire, embrasse divers champs dont la sociologie, l’économie et la gestion, la philosophie, les mathématiques. « Cette taille et cette diversité disciplinaire, nous permet d’explorer divers champs de recherche tous liés à l’étude du fait technique dans ses dimensions socio-économique, organisationnelle et collective. On s’intéresse à trois domaines en particulier. Le premier concerne la transition numérique, l’intelligence artificielle et les données massives. Le deuxième s’intéresse à la thématique de l’organisation, des collectifs d’innovation et de la gouvernance de l’innovation et enfin le troisième à la transition écologique », explique Hadrien Coutant, co-responsable du CRI. Parmi les projets liés à ces thématiques ? « Nous en avons plusieurs dont un sur l’industrie 4.0 et la numérisation des processus industriels ou un autre sur l’intelligence des données ou la maladie de Lyme. De mon côté, je mène un travail un sur la régulation des entreprises publiques et leurs relations avec l’Etat, tandis que des recherches technologiques sur les usages du numérique sont menées avec la plateforme Halle numérique. Enfin, nous menons, entre autres, des travaux sur la pensée écologique et l’engagement écologique des ingénieurs, les stations de recharge alimentées par du photovoltaïque ou encore les modèles industriels décentralisés et leur rôle dans la transition écologique », conclut-il.
Exemple de thématique transversale, le pôle «Health and Care Technologies» (H&CT) articulé à l’axe «Care Technologies» de Costech, est co-piloté par Costech et BMBI.
La genèse de ce projet pluridisciplinaire et transversal ? « Lorsque je suis arrivé à l’UTC, j’ai pris la responsabilité de l’axe «Care Technologies» au sein de Costech. Aujourd’hui, c’est en m’impliquant dans le pôle H&CT que je contribue à faire exister cet axe du laboratoire », explique Xavier Guchet.
Pour les chercheurs de Costech, la technique est un fait total. Autrement dit ? « Les dispositifs que conçoit l’ingénieur sont intrinsèquement porteurs d’enjeux sociaux, moraux, politiques. L’objet technique agrège, très en amont dans les choix de conception et de design, des problématiques qui le dépassent largement. En fait, la société, l’éthique, la politique sont matérialisés dans les choix qui président à la conception de l’objet », souligne-t-il.
La technique n’est donc pas neutre comme l’ont amplement montré, depuis 50 ans, les sciences humaines et sociales (SHS). Il y a cependant un fossé entre les connaissances théoriques accumulées sur la technique et le monde de la conception technologique. « Si on voulait tirer la conséquence logique de ces études sociales de la technique, tout processus de conception d’une technique devrait être pluridisciplinaire. L’ingénieur devrait être doté d’une culture en SHS tout comme le philosophe ou l’anthropologue devrait être familier des contraintes de la conception ou du design entre autres. Or, il n’est pas si évident de faire travailler ensemble ces différentes communautés », dit-il.
Historiquement, l’UTC a toujours affiché l’ambition de créer des espaces de dialogues interdisciplinaires et de former, selon Guy Daniélou, fondateur de l’université, « des ingénieurs philosophes ». A savoir, des ingénieurs dotés de compétences techniques mais aussi en SHS. Le pôle H&CT entend contribuer à cet objectif.
Un pôle transversal
Concrètement ? « Il s’agit de défendre l’idée que la conception technologique en bioingénierie gagne à se nourrir de l’apport de la philosophie et des SHS. Le but n’est pas de fournir aux ingénieurs un « supplément d’âme », un peu d’éthique venant recouvrir, comme une couche de vernis, l’activité de l’ingénieur : la vocation du pôle H&CT est de démontrer la fécondité d’une collaboration ingénierie/SHS depuis le processus même de la conception, en s’attaquant aux concepts directeurs qui orientent le travail de l’ingénieur, ou en démontrant l’intérêt qu’il y a, pour l’ingénieur, à replacer son activité dans son histoire », insiste Xavier Guchet.
L’idée fit son chemin et, dès 2016, les deux laboratoires ont institué une journée d’études annuelle commune autour de thématiques très diverses. « On a, entre autres, organisé une journée dédiée à la suppléance d’organes par des dispositifs bioartificiels ; une autre autour de la bioimpression 3D, toujours en lien avec la suppléance d’organes. On co-dirige également, Cécile Legallais et moi, une thèse sur l’histoire et l’épistémologie des organes artificiels. Manon Guillet, la doctorante, a ar ailleurs mis en place, au sein de BMBI, un rendez-vous éthique. L’idée ? Convaincre l’ingénieur de l’intérêt pour lui de connaître l’histoire de son propre domaine, c’est-à-dire l’histoire des concepts et des outils qu’il manipule au quotidien, mais aussi l’amener à réfléchir à sa propre pratique d’un point de vue éthique », précise-t-il.
Ces espaces de dialogues interdisciplinaires se sont enrichis, depuis janvier 2023, d’un séminaire mensuel.
L’approche transversale du pôle H&CT s’est concrétisée dans trois projets coordonnés par Xavier Guchet.
Les biobanques
Le premier projet (acronyme BiobanquePerso), lancé en 2017 et financé par la Région Hauts de France (anciennement Picardie) et le Feder, concerne les biobanques, ou Centres de Ressources Biologiques. « Ces infrastructures, essentiellement hospitalières en France, ont pour finalité de soutenir la recherche biomédicale en fournissant aux équipes de recherche des échantillons biologiques tels que du sang, des tissus tumoraux, des cultures cellulaires, associés aux données de santé des donneurs concernés en ayant, au préalable, reçu leur consentement éclairé. La collecte, la préparation et la conservation de ces ressources biologiques suivent un protocole très précis et très normé afin d’en assurer la qualité. En effet, de nombreuses études ont montré que la non-reproductibilité des résultats de la recherche d’un laboratoire à l’autre était souvent liée au déficit d’homogénéité et de qualité des échantillons mis à la disposition des chercheurs », explique-t-il. C’est dire le rôle fondamental des biobanques pour la recherche biomédicale.
Les objectifs du pôle dans ce domaine ? « Il me semblait, par rapport à la littérature existante dominée par les études éthiques, juridiques et sociologiques, manquer deux aspects. D’une part l’aspect historique. A savoir, comment cette activité de biobanking, née avec le 20ème siècle, a été rendue possible, quelles ont été ses trajectoires ? L’autre aspect est proprement épistémologique : comment ces infrastructures et leur évolution transforment-elles la manière de produire de la connaissance en biologie et en médecine ? Le projet a associé la biobanque de Picardie, une des premières en France, des historiens des techniques et des philosophes des techniques. J’ajoute que nous pratiquons une philosophie dite de « terrain », en ce sens que nous élaborons nos analyses en les nourrissant de l’enquête empirique, in situ, en observant l’activité des acteurs ainsi que les objets qu’ils manipulent et produisent, afin d’en comprendre les enjeux », souligne-t-il.
Le projet « Organes »
Lancé en 2021, ce deuxième projet est financé par l’Agence de biomédecine dont le principal champ de compétence concerne la greffe d’organes et toutes les problématiques liées à celle-ci. Cela va du don d’organes à l’allocation des greffons.
Les caractéristiques de ce projet (acronyme ITEGOREC) ? « A l’UTC, nos collègues de BMBI travaillent à la conception d’organes bioartificiels dont la finalité est de concevoir des dispositifs extracorporels ou implantables capables d’assurer les fonctions des organes défaillants, et de les remplacer. Ces dispositifs sont l’un des domaines étudiés par le projet. Celui-ci examine aussi deux autres technologies d’organes : tout d’abord, les technologies de perfusion, dont la fonction est de permettre une bonne conservation des organes entre le moment où ils sont prélevés chez un donneur et le moment où ils sont transplantés chez un patient. Ces machines permettent aussi de soumettre le greffon à des tests dans le but d’en évaluer la qualité – une information précieuse pour le chirurgien transplanteur. Ensuite, le projet s’intéresse aussi aux organoïdes et organes-sur-puces, à savoir des cultures cellulaires 3D censées reproduire certains métabolismes et même des fonctions de l’organe cible. Ces versions très simplifiées des organes font l’objet de beaucoup d’espoir notamment en recherche clinique et toxicologique et potentiellement en médecine régénératrice », détaille Xavier Guchet. Ces nouveaux objets se trouvent ainsi à la croisée du champ de la culture cellulaire qui remonte au début du 20ème siècle, celui des biomatériaux et celui de la modélisation. L’idée est de comprendre quand, comment et pourquoi ces différents domaines ont opéré une jonction, donnant naissance à ces nouveaux secteurs de la bioingénierie.
Il s’agit également, dans le projet, d’aborder les enjeux éthiques et réglementaires épineux que soulèvent ces technologies d’organes.
L’intelligence artificielle en cancérologie
Lancé en 2022 et financé par l’Institut National du Cancer, ce projet (acronyme MaLO), focalisé sur le cancer du sein, a pour objectif d’apporter un éclairage pluridisciplinaire sur des dispositifs d’IA en cours de développement dans le domaine de la cancérologie.
Plus concrètement ? « Tout comme pour le projet «Organes», il s’agit d’abord de replacer ces dispositifs dans le temps long de l’histoire. En effet, l’histoire peut être constructive pour éclairer le présent puisqu’elle peut nous instruire sur les erreurs qui ont été faites, les impasses qui ont été prises, par exemple en rattachant les dispositifs d’aujourd’hui à l’histoire des systèmes experts dans les années 1970/1980 qui, dans l’ensemble, n’ont pas tenu leurs promesses. Il s’agit également de comprendre dans quelle mesure ces dispositifs transforment la fabrique des connaissances sur le cancer. Ainsi, 20 ans auparavant, l’essor de la génomique a fait évoluer la manière de produire des connaissances sur le cancer, de définir ce qu’est un cancer, d’en comprendre les mécanismes et in fine de le traiter. L’IA aura-t-elle un impact analogue sur la classification des cancers et sur la prise en charge des patients ? Le projet entend par ailleurs aborder les enjeux éthiques et réglementaires que posent ces IA lorsqu’elles sont développées en médecine. Notre approche repose sur une conviction : ces dispositifs ne font sens qu’en contexte, il n’est pas pertinent de tenir un discours général et hors-sol sur les IA médicales. Enfin, dans une démarche plus exploratoire, nous souhaitons avec les partenaires – CHU, centres de recherche – expérimenter un processus de co-design des dispositifs, favorisant une réflexion pluridisciplinaire sur les problématiques de l’IA en cancérologie », explique Xavier Guchet.
Aujourd’hui, le pôle H&CT apparaît comme un exemple réussi de recherche interdisciplinaire ingénierie/SHS. « L’ambition est de donner au pôle, notamment au travers des journées d’études, une visibilité au-delà de l’établissement. Nous voulons à l’UTC être identifiés comme des acteurs importants de la réflexion sur le rôle de l’ingénieur dans l’évolution de la médecine au niveau de la politique régionale », conclut-il.
Professeur des universités en génie informatique, Marc Shawky est rattaché à l’équipe CRI de Costech. Il travaille, en particulier, sur deux axes transversaux «Care» et «Outils numériques» dont le projet Num4Lyme.
Des recherches qui portent sur l’analyse de données massives et l’apprentissage automatique. Faisant appel donc à l’intelligence artificielle. « Je m’intéresse, particulièrement, aux données de santé et surtout aux maladies infectieuses de longue durée dont la maladie de Lyme. D’où le projet Num4Lyme », dit-il.
Maladie infectieuse la plus fréquente en France – 30 000 à 40 000 nouvelles infections par an -, elle se transmet par les piqures de tiques et sévit principalement dans régions forestières. C’est le cas par exemple du bassin compiégnois.
Particularités des maladies infectieuses de longue durée ? « Les personnes présentant une seule infection peuvent ne pas présenter de symptômes nécessitant un traitement. En revanche, celles souffrant de plusieurs infections décelées par des tests sérologiques et des PCR peuvent présenter des symptômes qui s’apparentent à des maladies auto-immunes et dans certains cas pas de symptômes du tout. Les signes cliniques du premier groupe sont très disparates – perte de mémoire courte, douleurs articulaires etc.- désarçonnent souvent les médecins généralistes, faisant entrer les patients dans une forme d’errance pour établir le bon diagnostic », explique-t-il.
Les moyens d’y remédier ? « On a besoin d’autres outils d’aide au diagnostic et notamment l’analyse des données », ajoute Marc Shawky.
Concrètement ? « On va partir des signes cliniques et des doléances tel que le patient les exprime comme par exemple la fréquence de tel ou tel symptôme, leur intensité mais aussi leur évolution dans le temps. Les données collectées comprennent les formulaires renseignés avec les patients sous le contrôle de médecins hospitaliers, les analyses médicales, les compte-rendu d’imagerie médicale etc. On travaille de fait sur 300 à 400 paramètres par patient », assure-t-il.
Des partenaires pour ce projet ? « Il y a trois centres de compétences sur la maladie de «Lyme» en France. Nous allons signer une convention avec le docteur Ahed Zedan de la clinique Saint Côme, l’un des trois centres, et des discussions sont en cours avec celui de Nantes et celui de Metz », précise-t-il.
Le rôle de l’équipe de Marc Shawky dans la mise en place de ces nouveaux outils ? « Nous développons des algorithmes qui vont analyser les données par des techniques de classification. Il y en a plusieurs mais l’on va commencer par les plus simples On constitue une base d’apprentissage avec des patients dont on est sûrs qu’ils sont atteints de la maladie de Lyme puis à travers cette base on classe les données de patients que l’on ne connaît pas. Donc des données qui n’ont jamais été apprises. Les algorithmes vont ainsi rapprocher chacun des nouveaux patients avec cet ensemble d’apprentissage. N’oublions pas que l’on a près de 400 paramètres par personne et que toutes les données ne sont pas encore standardisées. Ce qui constitue un vrai challenge dans l’analyse de données massives, données anonymisées qui viennent, essentiellement, de nos partenaires », explique Marc Shawky. Un projet transversal qui implique, outre Costech, le LMAC et le GEC à l’UTC ainsi que la clinique Saint Côme.