L’IA dans les véhicules intelligents
Professeure des universités, Véronique Cherfaoui est rattachée à Heudiasyc, une UMR CNRS/UTC. Elle est par ailleurs responsable de l’équipe « Systèmes robotiques en interaction », une des trois équipes du laboratoire et directrice de SIVALab, laboratoire commun entre l’UTC, le CNRS et Renault.
« Le projet de recherche que l’on développe dans ce laboratoire commun porte sur l’intégrité de localisation et de perception des véhicules intelligents. Les chercheurs et les constructeurs préfèrent cette caractérisation car l’autonomie totale n’est pas pour demain. Cependant, en visant l’autonomie, cela nous permet de développer des systèmes intermédiaires telles des aides à la conduite tout en veillant à la sûreté du véhicule. Les recherches menées pour le véhicule intelligent font partie du domaine de la robotique et la robotique a besoin de l’IA pour augmenter son autonomie décisionnelle », dit-elle.
Le véhicule autonome ou intelligent est doté de systèmes d’une grande complexité. « Ce sont des systèmes qui doivent lui permettre de naviguer à grande vitesse et d’évoluer dans des milieux extrêmement diversifiés, complexes où il faut prendre en compte les différentes dynamiques de tous les utilisateurs de la route comme les camions, les autres véhicules, les piétons, les cyclistes, les trottinettes, etc. », souligne-t-elle. Ainsi, plutôt que l’autonomie intégrale qui est pour l’heure une ligne d’horizon, les efforts sont menés pour développer des véhicules partenaires de conduite visant à augmenter la mobilité et la sécurité des personnes.
Le rôle de l’IA dans les systèmes complexes implémentés dans les véhicules intelligents ? « L’IA intervient à divers niveaux dans les véhicules autonomes. En robotique, on parle du cycle “perception-décision-action”. Dans un premier temps, on essaie de percevoir notre environnement et de le comprendre. En fonction de cela, la deuxième étape consiste à décider de la manœuvre à effectuer, puis enfin à mettre en oeuvre cette décision par des actions sur le moteur, les roues, le volant, etc. On peut mettre de l’IA à tous les niveaux. Ces dernières années, les techniques d’apprentissage à base de réseaux de neurones profonds (deep learning) ont permis d’énormes progrès en perception de l’environnement. Ces systèmes permettent de détecter avec de très bons taux de réussite les véhicules, les piétons, les marquages au sol, les panneaux et de nombreux autres éléments d’une scène routière. Cependant, ce sont des “boîtes noires” et il est difficile de prédire et d’expliquer les cas qui ne fonctionnent pas. Il y a de l’IA au niveau de la décision de la manoeuvre également avec des techniques qui peuvent être fondées sur la planification et la prédiction de trajectoires et le calcul du risque. En revanche, il y a actuellement peu d’IA dans la phase action, puisque les algorithmes de commande et de contrôle fondés sur les modèles dynamiques des véhicules sont performants », précise Véronique Cherfaoui. D’autres pistes sont cependant explorées. « Des recherches sont ainsi menées, notamment dans ce qu’on appelle le “End to End”. Il s’agit de développer des réseaux de neurones profonds qui prennent en entrée les données des capteurs (caméras, lidars, etc.) et dont la sortie est directement une action sur le volant, l’accélérateur ou le frein. Or, cette approche a ses limites car on ne peut imaginer toutes les situations possibles et on ne sait pas expliquer ce qui a conduit à telle ou telle décision. Les constructeurs automobiles ne sont pas encore prêts à se lancer dans ce type de systèmes parce que leur responsabilité est engagée et que l’on ne peut garantir la sûreté de fonctionnement », estime-t-elle.
Ce n’est, en tout état de cause, pas la voie choisie par Véronique Cherfaoui qui insiste sur le fait qu’elle est d’abord roboticienne. « Je ne développe pas d’outils IA générative ou des réseaux de neurones, par exemple. Mon rôle est d’adapter les outils IA à mes questionnements de roboticienne. Dans la phase de décision par exemple, je peux utiliser des réseaux de neurones profonds mais aussi du raisonnement avec la prise en compte des incertitudes », explique-t-elle.
De la perception à l’action, les incertitudes sont nombreuses et variées. Or, les réseaux de neurones modélisent difficilement les incertitudes. « Le projet que nous menons avec Renault repose sur la prise en compte des incertitudes à partir du capteur et jusqu’à la prise de décision. Si nos informations sont trop incertaines, on le communique au système qui pourrait rendre la main au conducteur car incapable de décider », précise-t-elle.
Des problématiques qui sont au centre du projet collaboratif CAP TWINNING dans le cadre du cluster IA PostGenAI@Paris porté par Sorbonne Université. « L’idée est que le véhicule soit un partenaire de conduite et que l’on partage la conduite entre l’humain et le véhicule. On part du principe que le véhicule sait gérer une situation donnée mais, lorsqu’il se sent en difficulté, il doit le dire au conducteur, celui-ci pouvant, par ailleurs, reprendre la main à tout moment. Le conducteur est ainsi toujours dans la boucle. Dans ce projet, l’idée c’est de mettre en oeuvre des interfaces et une IA qui permettent de comprendre ce que fait le conducteur et, inversement, que le conducteur comprenne ce que fait la voiture. Quand le système prend une décision, il faut qu’il puisse l’expliquer au conducteur partenaire. Il s’agit ainsi de donner un maximum d’autonomie au véhicule, une autonomie visant à faciliter la mobilité de certaines personnes et à une plus grande sécurité routière », conclut Véronique Cherfaoui.
MSD